-Lettre du 18 oct. 1702 (d’Arnstatt) :« En vérité je ne sais si je dois faire des reproches ou remerciements à V. A. pour les médailles qu’elle m’a envoyé, et que je renvoie présentement. Quand je songe au risque et péril que ces bijoux ont essuyé, je tremble encore pour le retour,et ne puis m’empêcher de dire à V. A. qu’elle a été un peu téméraire en hasardant ce petit trésor ; mais quand je considère que cela ne s’est fait que par un excès de bienveillance envers moi, je suis empêché, et ne saurais trouver des mots, qui puissent exprimer la gratitude, laquelle mon cœur me dicte ; ainsi je confesse ma faiblesse en ne pouvant faire assez de remerciements ; je suis obligé pour cela incomparablement, et remercie V. A. de tout mon pouvoir, et la supplie de ne point épargner par tout ce que je pourrais faire pour leur service, et souhaite l’occasion de pouvoir montrer un échantillon de ma sincère reconnaissance, par mes très humbles obéissances. On peut appeler cette action une grande générosité, et comme cette vertu vient d’une grande cervelle, il ne faut pas étonner, qu’un Prince portugais soit extrêmement généreux, car le Royaume de Portugal fait la cervelle de toute l’Europe, et si nous considérons sa figure dans une carte géographique, l’Espagne en fait la tête, laquelle est présentement en danger de perdre la cervelle, si elle perd le Portugal. Pour revenir aux médailles mêmes, je demande pardon à V. A. de ce que je n’ai pas voulu croire, que ces merveilles fussent antiques, car j’ai vu le contraire, hormis N° 13, 33, 37, qui pourraient bien être moulées après d’autres antiques. J’ai remis ces médailles, chacune dans le papier écrit par V. A. et ai ajouté quelques petites observations, lesquelles je supplie de vouloir prendre en bonne part, et dirai encore quelques mots sur quelques-unes. N° 4. Je ne sais que dire de cette rarissime médaille car je crois qu’on y doit lire C. BAEBIO TAMPHILO, cependant on ne le peut trouver. N° 16. Cette médaille de Tibère est d’une grande conséquence, et j’ai été ravi de la voir, pour RVSTICELIVS, on lit cela distinctement, et c’est dommage, que les premières lettres soient effacées. N° 22. Je ne saurais lire le cognomen dans ce quinaire. N° 27. On lit distinctement C. VRMIVS, et je ne puis comprendre cela. N° 33. V. A. rira sans doute de ma conjecture sur cette médaille, mais je confesse que je ne l’approuve moi-même, et je ne l’ai mise que pour donner matière à une plus exacte recherche. N° 54. J’estime cette médaille fort singulière. PORTVS s’y voit clairement, et dans les médailles de Patras on ne voit point le nom de II. VIR, car c’était la résidence du suprême magistrat. V. A. jugera du reste de ma conjecture, et si cela ne plaît pas, je la condamnerai moi-même. N° 59 et 64. De ces médailles arabes j’ai vu quantité, et il y en a plusieurs dans le cabinet de monseigneur le Comte. Si V. A. ne s’en souciait pas beaucoup, on serait bien aise de les avoir, pour les joindre aux autres. Il y eu sur ces médailles arabes des lettres et un langage, que les savants appellent Coffi, et il est présentement inconnu aux Arabes modernes. Pour moi, je ne l’entends point, mais Monsieur de Court, neveu de Mr Saumaise, et ci-devant précepteur de Monseigneur le Duc de Maine les lisait, et entendait fort bien, et j’ai eu un grand plaisir de l’entendre là-dessus, quand je lui en faisais quelque dessin, et si les écrits qu’il a fait là-desus sont perdus, c’est un malheur considérable pour les curieux, car je ne crois pas, qu’il s’élève encore un homme si savant. N° 66. J’ai été fort surpris de voir cette médaille de Polémon, et confesse franchement que je ne saurais rien dire là-dessus. V. A. commence sa lettre par un mépris de la colle de poisson, et moi je l’estime extraordinairement, parce que sans beaucoup de dépense je puis amasser les colles de médailles, lesquelles me servent autant que les originaux. J’ai envoyé ci-joint six petits paquets de colles pour les voir, et supplie V. A. de me les renvoyer, car je ne m’en saurais passer, et ce sont mes archives métalliques. J’y ai ajouté la colle du médaillon de Tibère, comme il est à Berlin, et V. A. pourra voir, s’il est conforme à celui de Venise. Pour faire voir, que je voudrais bien montrer quelque reconnaissance, et pour plus grande sûreté du retour des médailles à Venise, j’ai trouvé à propos de les faire accompagner d’un ours espagnol, qui a donné lieu pour la dénomination d’Ossuna ( ?). Je supplie V. A. de mettre cette médaille parmi les leurs en mémoire de moi, qui voudrais bien faire autre chose. Mons. Le Chevalier de la Fontaine est revenu de Nuremberg, de là il est allé à Prague avec le Comte de Portland, et il m’a fait espérer qu’il reviendrait par Leipzig, et ferait tout son possible de passer par Arnstatt. La lettre contre Mr Galland paraîtra sous l’adresse dudit Mr le Chev. de la Fontaine, puisque Mr le D. J. l’a bien voulu permettre après avoir trouvé quelque obstacle de son côté, mais j’y ai fait plusieurs petits changements. Je demande pardon à V. A. de ce que j’ai retenu si longtemps ces médailles, mais j’ai été indisposé quelque temps, et incapable de travailler beaucoup à cause de mes faiblesses. Outre cela, j’ai été si amoureux de ces médailles que si je l’avais été à un si haut degré d’une belle fille dans ma jeunesse, je me serais peut-être résolu à un rapt : présentément pourtant je je n’y ai pas songé, car les devoirs d’un honnête homme sont en moi plus invincibles, que le plus grand empereur. J’ai ajouté encore quelques dessins après mes gravures, quoiqu’elles soient mal faites, car je n’ai présentement aucun dessinateur ou graveur qui aient pu faire de bons dessins, et n’ai pas eu des estampes tirées de mes planches ; ces dessins ont été transdessinez par mon écrivain, qui ne l’a jamais pratiqué. Il me semble présentement, que j’ai encore beaucoup de choses à écrire à V. A. mais la mémoire ne veut pas m’obéir, hormis qu’elle me dit toujours, que je n’ai pas assez remercié V. A. me trouvant donc dans une grande impuissance, je ne saurais dire autre chose, sinon que je serai toute ma vie de Votre Altesse, Monseigneur le Prince, le très humble et très obéissant serviteur. A. Morell» (Paris, BnF, Manuscrits, Nouvelles acquisitions latines 389 : Correspondance numismatique d’André Morell d’Arnstatt, pendant les années 1702-1703, p. 150-156 [en ligne sur Gallica] ; Callataÿ 2015, p. 313, II.12).