-Lettre du 5 jan. 1703 (réponses à des lettres du 22 novembre et du 15 décembre 1702) : « Monseigneur le Prince, Je dois réponse à trois lettres de V. A. du 10 et 22 novembre et 15 décembre 1702 auxquelles je répondrai comme un procureur, c’est-à-dire par articles, suivant leur contenu, après avoir souhaité à V. A. une heureuse nouvelle année avec une suite de plusieurs autres aussi nombreuse, que la plus belle suite de médailles. Je suis assuré qu’on ne trouvera dans le monde pas trois personnes, qui puissent égaler V. A. pour la véritable connaissance de l’antique. M. Vaillant a été lui-même la dupe des antiquaires d’Italie, entre lesquels Cameli a été un des plus habiles pour faussement réparer les médailles. Je n’en citerai qu’un exemple. Dans le cabinet de la R. Christine il y a une médaille avec la tête de M. Antoine, laquelle devrait avoir pour inscription : P. AEBVTIO. C. PINNIO II. VIR. mais comme elle était fruste, Cameli l’a réparée et y a mis : P. ALITIO. L. MENIO. II. VIR. et pourtant Mr Vaillant n’a pas laissé de la publier pour bonne et antique, dans les Colonies, et je sais encore beaucoup de ses semblables faiblesses et bévues ; mais je les réserve pour quelque épître contre les attaques suivantes dudit Vaillant ou M. Galland, duquel il se sert comme le singe du chat pour tirer les marrons du feu. Pendant que j’ai été dans le service du Roi de France, on envoya de Rome un catalogue de quantité de médailles surprenantes d’un Marquis Liberi, si je me souviens bien, lesquelles sont toutes fausses, si bien faites, que le plus habile y aurait pu être trompé. On envoya aussi quelques médailles semblables de Venise, entre autres AE un Britannicus, un Othon, un Pescennius Niger, et autres, mais fausses, si bien travaillées, que j’étais étonné, comme de si habiles gens pouvaient se résoudre à être faussaires. Je suis dans une tristesse et chagrin, jusqu’à ce que les médailles de V. A. soient de retour, et je voudrais, que l’Electeur de Bavière soit au plus tôt réduit pour la sûreté publique. Je n’aurais jamais pu croire, que V. A. eût tant de bonté et estime pour moi, que de risquer un si rare trésor : il sera plus sûr et à propos d’envoyer des colles de poisson, afin que les originaux soient hors de danger. Monsieur le Chevalier Fountaine a fait imprimer ma lettre contre Mr Galland, et il m’a écrit qu’il avait envoyé des exemplaires à V. A. Mr Leibniz, homme incomparable pour l’honnêteté et l’érudition en a ôté tout le piquant, et quasi plus que Mr Galland méritait. J’en suis pourtant bien aise, parce que les malicieux ne pourront pas m’accuser d’avoir été bilieux. J’espère qu’on pourra bien voir, que la raison n’est pas du côté de celle de Mr Galland, lequel je croyais plus habile, car si l’on considère seulement ce qu’il dit de la médaille de la famille ACILIA, il ne se peut rien trouver de si absurde et pitoyable. Au reste, c’est un fort bonhomme, qui n’a point étudié régulièrement, car il a été fragile laquais ; mais par une bonne conduite et diligence, il s’est poussé fort honnêtement ensuite. Il a été à Constantinople avec Mr de Nointel ambassadeur de France, où il a appris beaucoup de langues orientales avec le grec littéral et vulgaire, après cela il a fait plusieurs voyages par le Levant pour acheter des médailles pour le cabinet du Roi, et à la fin étant revenu en France, sans avoir gagné beaucoup, et n’ayant pas d’emploi, il s’est mis chez Mr l’Intendant Foucault. Si V. A. me voulait envoyer la colle de la médaille de Néron, avec TIB. CLAVD. ANAXILAO. II. VIR. COR. cela me réjouirait. J’ai montré à Monseigneur le Comte de Schwartzbourg ce que V. A. écrit des médailles arabes, sur quoi il m’a commandé de faire la diffus des remerciements nécessaires à V. A., et qu’il se recommande avec offre de tous les services réciproques. Il prie néanmoins demettre prix aux médailles, comme on fera aussi quand on trouvera quelque chose digne d’être offert à V. A. Il semble que V. A. insinue d’avoir été malheureux dans la chimie, sur quoi je dis, que j’ai été attaqué de la même maladie, et ai perdu par les souffleurs plus de trois mille sous pendant que j’ai été en France. Monseigneur le Comte de Schwartzbourg y fait aussi de continuelles dépenses, mais avec jugement, et cette précaution de n’y faire point d’excès, mais quand il vient quelqu’un avec des offres et promesses de montagnes d’or, il n’en peut tirer que la subsistance pendant le temps nécessaire pour un essai, et après qu’on a reconnu la fausseté, le souffleur est obligé d’aller chercher fortune ailleurs. Il y a présentement un Suédois en arrêt ici, son camarade est mort il y a quelques mois, lequel a dit qu’il avait été plusieurs années à Venise, où on l’avait tenu comme prisonnier dans l’arsenal et forcé à travailler, et qu’on y avait des réalités après cela qu’il a pu échapper commepar un miracle, et a servi les Hollandais dans leurs mines aux Indes orientales. Pour le Suédois, il dit qu’il a été plusieurs années auprès de la Reine Christine à Rome, jusqu’à sa mort. Ces deux hommes ont été reçus ici sous les offres et promesses, qu’ils montreraient une manière par laquelle on pouvait tirer un tiers davantage des mines de cuivre dans les terres de Schwartzbourg, mais au bout de beaucoup de temps, et de dépenses, on a vu que ces souffleurs étaient des sots. Il y a pourtant un antre à vingt lieues d’ici, qui peut tirer une demi-once d’or d’une livre de cuivre, mais c’est un grand et furieux travail qui se fait par vitrification. Pour moi je crois qu’il y a de secrets véritables, et une tinture nouvelle, mais ceux qui la possèdent ne sont pas si fous, que d’en parler, et Dieu ne permet pas qu’un indigne l’attrape. La médaille d’or avec ΘΕΩΝ ΦΙΛΑΔΕΛΦΩN est ici fort belle. Si les deux autres, qu’on a volées à V. A., savoir Antoninus Pius en or avec le revers d’Enée, qui porte Anchise, tenant Ascanius par la main ; Galba restitué par Trajan était encore en Elle, on se recommanderait extraordinairement à V. A. pour les acheter, car elles sont fort rares, et je plains V. A. pour ce malheur. V. A. n’a pas besoin de me commander à faire mention d’elle dans mon ouvrage, car cela n’est pas seulement un très humble devoir de mon côté, mais je tiens cela pour le plus grand honneur de le pouvoir et oser faire. Si j’avais cru ma lettre contre Galland digne d’être écrite à V. A., je l’aurais déjà fait, mais ce n’est qu’une bagatelle. Pourtant si V. A. a la grande bonté pour moi de le permettre, je le ferai dans la première semblable occasion et l’enverrai avant l’impression à V. A. afin qu’elle me puisse commander ce qui sera nécessaire. Je voudrais que mon livre fut déjà imprimé pour avoir l’honneur d’en envoyer gratis six exemplaires à V. A. Cependant je ne puis avancer jusqu’à ce que celui de M. Vaillant soit publié, parce que les libraires Hughetans voudraient bien faire copier mes planches, car les leurs que j’ai vu, sont si pitoyables, que l’on en a pitié, et la première médaille publiée par Vaillant, est une pure fiction, et le tout pauvrement copié après Patin. Ainsi nous n’en pouvons pas espérer grandes merveilles. Je n’ai qu’un exemplaire de mon Spécimen, et les ai tous donné à mes amis, après en avoir eu un nombre du libraire, Mr Fritsch à Leipzig, auquel j’ai laissé tout le reste gratis sans lui demander quelque autre profit. Je crois qu’il en aura encore dans sa boutique. V. A. mande de la distinguer de ses frères, cela me fait souvenir de deux choses. Dans les gazettes j’ai lu qu’un prince de Brabançon avait amassé des troupes pour défendre les côtes de Galice après l’action passée à Vigos ; cela me fait croire que c’est un des frères de V. A. ainsi il faut de nécessité que leur sérénissime maison ait des terres en Espagne et en Portugal. J’ai aussi lu dans les gazettes il y a quelques semaines, qu’un Prince de Ligne était arrivé à Paris, et avait été bien reçu du Roi à Versailles. Je ne saurais deviner qui cela peut être, car je crois qu’il n’y pas deux frères, qui portent le même nom. Je remercie V. A. de m’avoir renvoyé mes colles de poisson, et quoique ce soient de fragiles richesses, je les estime considérablement, car elles me servent autant que les originaux. J’ai amassé toutes lescolles des médailles d’or, et les ai appliquées sur des planches de papier, et donc cela fait un très bel effet, et est si agréable à voir, comme un cabinet de médailles d’or. La tête et le revers sont ensemble l’un sur l’autre. Lorsque j’ai eu l’honneur de parler à l’Electeur de Brandebourg, je lui ai montré ce livre, et il l’a admiré comme aussi plusieurs autres Ducs et princes. S. A. de Wolfenbuttel me dit qu’Elle aimerait mieux une semblable collection de copies, que de dépenser tant d’argent pour amasser les originaux, puisqu’on en a la même utilité. Touchant le médaillon de Tibère, j’ai écrit à M. le Chev. Fountaine de bien examiner celui de Berlin, et nous saurons s’il est semblable à celui de Venise. Je ne sais si l’on aurait raison de croire que les lettres C.P.I. pourraient s’expliquer Clapea Prima Italia, puisque cette ville était sur le promontoire de Meroure ( ?), et son état déjà du temps de la guerre punique. Or il se peut, qu’elle est fort agrandie après la destruction de Carthage, et elle a été la plus grande ville de ce côté-là, lorsque Jules César battit ses ennemis en Afrique. Ainsi l’on peut croire qu’il leur a fait quelque bien : or comme ce même empereur a donné ces ordres pour rétablir Carthage, laquelle a pris les noms de Colonia Juilia Nova, Carthago, il se peut faire, que ceux de Clupée ont été jaloux de l’honneur arrivé à leurs voisins, c’est pourquoi ils peuvent avoir pris les titres de Prima Julia, pour marquer, qu’ils ont été les premiers dans les bonnes grâces de Jules César et ont mis un seul C. pour signifier que leur ville n’est pas seulement une colonie remplie de nouvelles canailles, mais une ville qui s’est soutenue de soi-même depuis plusieurs siècles. Cela ne sont que de pauvres conjectures et si on ne les veut croire, cela se pourra faire sans courrir le blâme d’être appelé incrédule, ou hérétique en matière de médailles. J’ai appris avec bien de chagrin les coups de bâton, que le Dr Bon a reçu sans avoir été créé Chevalier ou Maréchal, et c’est un récipe fort sensible, si l’on n’a pas le moyen de se guérir. Les médailles des rois de Syrie et d’Asie et autres semblables sont si rares, qu’il ne s’en trouve pas facilement des doubles, surtout en ce pays-ci ; cependant s’il y a quelque rencontre tout sera au service de V. A. La médaille avec CEΞΣΤΩΝ ΗΡΩΝ est dans le cabinet du Roi à Versailles. Je l’ai aussi vue entre les mains de feu Mr Spon, lequel était mon ami particulier, et d’une intégrité tout-à-fait extraordinaire. Le MITREIVS n’est pas encore gravé, mais s’il plaît à Dieu, il le sera avec les autres médailles nouvelles reçues de V. A. et si l’ouvrage de M. Vaillant tarde longtemps, j’en ferai une dissertation à part. En voilà assez » (Paris, BnF, Manuscrits, Nouvelles acquisitions latines 389 : Correspondance numismatique d’André Morell d’Arnstatt, pendant les années 1702-1703, p. 157-165 [en ligne sur Gallica] ; Callataÿ 2015, p. 314, II.15).