Lettre du 6 octobre 1762 (de Vézénobres) : « J’ai à vous rendre, Monsieur, des grâces de toutes les espèces et des assurances à vous donner de toute ma reconnaissance. Ce sentiment est bien doux quand il regarde quelqu’un pour qui l’on a déjà une estime aussi sincère et aussi bien fondée : la médaille de Trajan m’a fait plaisir, il n’y avait point en effet à balancer sur le choix. Non seulement le revers de l’Arabe est moins commun, mais le buste à plus de relief, et comme la tête exprime un âge un peu plus avancé, cela ajoute encore à l’idée que nous formons d’une plus grande ressemblance. C’est par cette raison ce me semble que les caricatures bien dessinées des Italiens conservent ordinairement cet avantage, quoique exagéré, mieux que les portraits les plus finis, et la vieillesse, ou pour mieux dire l’age plus mur, est une véritable caricature des mains de la nature même. Je ne doute pas que vous n’en eussiez déjà fait la remarque et elle est assez singulière pour en tirer bien des inductions, soit pour les masques de théâtre des anciens, soit pour leurs statues colossales. Si le juif Lion, quand il aura reçu son autre Trajan, veut bien encore vous confier son Vespasien et son Philippe en y mettant un prix raisonnable, je les verrai avec plaisir, et si je garde l’un des deux, je pourrai lui donner en échange un beau Tibère que j’ai en double en or, qui est très bien conservé, et même avec quelque petit bénéfice si vous le jugez convenable. Ainsi, je pourrai vous envoyer, ou par porteur ou par quelque / [fol. 7 v°] autre commodité, si vous me l’indiquez et que je payerai volontiers les deux médailles, l’une de Trajan pour la lui rendre, l’autre de Tibère pour la lui troquer, ou plutôt vous aurez la bonté de garder cette dernière en cas que vous puissiez à votre plus grand loisir en faire affaire avec le possesseur de l’Antonin Pie qui ne devrait pas, en bonne justice, être plus cher que Tibère, mais dont je consens cependant à donner le retour honnête que vous fixerez. Il n’y a rien à tout cela de pressé à beaucoup près. J’ai éprouvé par moi-même, combien les arguments de M. Boudon sont longs, embarrassés et peu concluants. Ainsi, puisqu’il balance en estimant sa Faustine cent écus, il n’y a qu’à n’y plus songer, à moins qu’il ne vint quelque jour à vouloir s’en défaire et à n’en trouver que quatre louis ou en dessous. En ce cas, je vous prierai de la prendre comme pour vous et d’en donner jusqu’à 10 pistoles et même quelque chose au-dessus pour en déterminer. C’est une misère dans tous les genres d’avoir à traiter avec gens mal instruits et qui croient l’être bien. Il vaut encore mieux avoir à se débattre avec un brocanteur d’office, même un peu fripon. Il est plus aisé d’en tirer parti du côté de l’intérêt, pourvu qu’on ne se laisse pas tromper sur le mérite de l’objet même. La Pallas de M. Pichoni devrait avaler une douzaine au moins de Faustines comme celle de M. Boudon. Je lui ai vu aussi une petite médaille d’Alexandre en or, et une très petite bague de cornaline-onix, consacrée, je pense, à Mercure. Ayez /[fol. 8 r°] la complaisance de vous informer fort à loisir s’il s’est dépouillé aussi de ces deux effets et surtout du dernier et en ce cas, tâchez de savoir combien il en a tiré. Je vous demande pardon, Monsieur, de toutes ces petites importunités. Elles donnent du moins un léger véhicule au commerce de la curiosité, mais dans ce commerce, je ne sens que trop qu’il n’y a rien à apprendre pour vous et beaucoup à gagner pour moi. » (Nîmes, Bibliothèque municipale, Ms. 141, f° 7-8; Rambach 2023, p. 26, note 33).