-Lettre du 7 avril 1702 (de Venise) :« J’ai eu l’occasion de connaître Mr le Chevalier Fontana (nb : Fountaine) et de lui faire toucher plusieurs médailles rares en argent du cabinet du noble Antonio Cappello Sénateur de la Patrie. Ce jeune seigneur se loue infiniment des honnêtetés qu’il a reçues de vous, et de l’antique au moderne il possède une connaissance entière. Je lui dois beaucoup de civilité pendant son séjour, mais la plus sensible obligation dont je lui suis redevable, est assurément celle de m’avoir donné de votre part la lettre toute remplie d’érudition, que vous avez écrite à Mr Perizonius. Comme je n’ai pas encore eu le loisir de l’examiner, vous aurez la bonté de me donner quelques semaines de temps pour les remarques, que vous exigez sur ces médailles consulaires, mais à ce que je vois quoique inventis addere soit assez facile en ce monde, vos conjectures sont si bien fondées, que vous embrassez le tout, sans laisser le moindre jour aux autres d’y pouvoir ajouter quelque chose. Par votre Specimen de la première et seconde édition, et par la renommée, qui vous publie pour / l’homme du monde le plus savant, j’avais l’avantage de vous connaître ; mais j’espère de lier avec vous une correspondance de bonne amitié, par les assurances que m’en donne Mr le Chevalier, que vous l’aurez pour agréable, trop heureux de contribuer par accident quelque chose à la gloire d’un si grand homme. La figure à genoux de la première médaille dans la famille AEMILIA représente sans doute la province d’Arabie, comme on la trouve in Traiano, et point du tout le roi ARETAS, lequel, quoique vaincu, devait porter le regium paludamentum, et par conséquent le diadème, distinction inséparable de son caractère ; de la même manière que les rois amis du peuple romain, par exemple Rhoemetalcès, Herodes, Deiotarus et Sauromates. La continuation du 1er tome in folio de Mr Begerus n’a pas encore paru en Italie ; mais je puis vous témoigner sans vanité, qu’ayant parcouru l’Europe, et visité beaucoup de fois les cabinets plus fameux depuis 20. ans de pratique dans le métier de la médaille, je n’ai jamais remarqué la couronne de rayons sur le dos du chameau, mais seulement une espèce de tête ronde, ou de couverte, qui servait pour la commodité d’y monter. / Touchant la 4ème médaille de la même famille, il n’y a que moi seul qui puisse vous en instruire, ayant acheté il y a 3 ans de la veuve de Mr Patin toutes les médailles de bronze, que j’ai trouvé dans son cabinet, entre lesquelles celle de Lepidus, dont il est question, est un vilain jet sablonneux ; la tête et la barbe refaites avec le secours du burin, et les lettres du même côté d’une égale fabrique. Mais le revers n’est point retouché, ce qui m’a persuadé que le véritable original pourrait être une médaille d’Auguste. Les peuples de cette île en ont frappé plusieurs, que l’on trouve dans le livre de Mr Vaillant de Num. Graec. P. m. 3 Il ne faut pas s’en étonner, car j’ai trouvé quantité de médailles fausses dans les cabinets de Morosini, Theupolo, Coraro (nb: Correr), Ruzini et Garzoni, que ce fameux antiquaire avait vendu pour bonnes. Je ne sait pas si sa dernière aventure est parvenue à votre connaissance ; la voici en peu de mots : il avait vendu pour 50 pistoles la famille HORATIA au Duc de Parme. Les antiquaires d’Italie l’ayant reconnue pour un coin moderne, ce Duc avait résolu de lui faire / un affront, et le bon homme en est mort de déplaisir. Cette espèce de supercherie s’est confirmée lorsqu’après sa mort, l’on a trouvé le même coin moderne avec cent autres de Cavin (nb : Cavino), que madame son épouse a vendu en France pour une somme considérable. Ceux qui cherchent le Corles ( ?) ne passeront jamais le pont, dont il est question. Votre remarque est juste sur la médaille de l’onzième table dans la famille ANTONIA. La figure debout doit exprimer M. Antoine nudo capite ; et si la mémoire ne me trompe je me souviens d’avoir lu qu’il se servait ordinairement pour la devise de son cachet du même type amuletique que nous y voyons du côté du revers. La médaille de la famille AUFIDIA corrige le texte de Tacite ; il y a plusieurs années que je l’avais remarqué. L’on voit dans la mienne autour de la tête le nombre de XVI. Outre cette nouvelle famille, je possède l’AUTRONIA, l’ATINIA, la MITREIA, et beaucoup d’autres médailles, que Patin n’a jamais vu, dont je vous enverrai les dessins lorsque vous le souhaiterez. Il faut malgré moi que je défende Mr Vaillant sur la famille BELLIA, nam recto Augusto nummum tribuit ; ceux qui verront mes médailles / en tomberont d’accord. J’ai confronté mille fois celle de Caligula et celle d’Auguste. La 1ère a le cou étroit, le visage un peu long, et facilement on le distingue ; la 2ème a le cou proportionné, la physionomie agréable et ressemble parfaitement. L’opinion que vous avez du carpicorne dans la famille OPPIA, contre les sectateurs de Suétone, est à peu près la même du P. Hardouin de Num. Herod . lorsqu’il explique le revers de la médaille de Lucius Caesar. Votre sentiment sur l’époque de Bithynie, qui ne se doit déduire qu’après la récupération de cette province, est très digne, et très bien fondée. J’ai une médaille moyenne avec la tête de Jupiter ΝΙΚΟΜΗΔΩΝ. In postica vero Roma galeata sedens in trophaeo, dextra palladium. Finitum hastam. ΕΠΙ. ΓΗΙΟΥ. ΠΑΠΙΡΙΟΥ. ΚΑΒΩΝΟΣ ΔΚC. Anno 224. La même époque dans la Vibia se pourrait bien entendre par une autre médaille que je possède ab una parti caput Bacchantis hedera insignitum, cum litens ΑΠΑΜΕΩΝ. ΝΙΤΡΕΩΝ, ab alia vistur supra. ΕΠΙ. ΓΑΙΟΥ. ΟΥΙΛΙΟΥ. ΠΑΝΕΑ. ΕΛΣ. anno 236 / Le nom de ΜΥΡΕΩΝ (que je crois ville de la Lycie) est ajouté à celui d’ ΑΠΑΜΕΩΝ, pour la distinguer de tant d’autres du même nom, dont les auteurs font mention. Au reste j’avais autrefois songé que les traits du visage de la bacchante respiraient un je ne sais quoi de majestueux (outre que l’on y remarque plutôt de la vieillesse) que ce pouvait bien être la tête d’Apamée, seu ad monumentumexarata similitudo ; et si l’on n’y voyait pas distinctement une longue boucle de cheveux pendante jusqu’au sein, j’y aurai trouvé du rapport avec la tête de Jules César. Vous en serez le juge et vous rirez peut-être de ma faible conjecture. C’est une chose étrange, que l’on ne trouve point la 3ème médaille dans la famille SEMPRONIA assez bien conservée pour y ajouter quelque chose de nouveau. La mienne a le même dessin que les autres ; cependant j’y distingue une espèce de séparation du haut en bas entre la tête et les lettres,comme un bâton augural… TAIC… et derrière le cou un sceptre, ou lituus, pourtant d’assez bonne longueur, et d’autres caractères rongés de trous et aplanis ; au revers le tripus, avec le / nom de ΠΙΤΙΟetc. Mais je ne vois point de vestige d’Actaeon au sommet dela tête, et je ne m’éloigne nullement de votre opinion, que ce pourrait être Jules César. Le monogramme de ΚΟΡΚΥΡΕΩΝ dans la famille Proculeia est très vraisemblable ; la première médaille de cette table a derrière le cou un trident, ce qui confirme votre opinion et par conséquent la tête est de Neptune, qui a beaucoup de rapport avec l’île de Corfou. Dans la dernière table de la famille Claudia ubi VOLCANO, adde litram N, et lege VOLCANON. La médaille de la famille MUCIA doit aussi se graver dans la CORDIA. Le bon homme Patin ne s’en est point souvenu. La médaille de cuivre, que je possède de la famille Turulbia, doit se graver aussi dans la Posthumia. M. Vaillant n’a mis au jour que la moitié de son type. Entre les incertaines de la dernière table n° 6 le petit chien entre le trophée et la victoire me fait ressouvenir, que la famille ANTESTIA s’en servit fidèlement. / … (sur une inscription communiquée par Andrew Fountaine). Si ma correspondance vous est agréable, voici mon adresse : A Mr le Prince Seneschal de Ligne à Venise et sur une autre enveloppe : Il molto illustre Signore mio Padrone Collmo il Signore Valentino Nicoletti. Rialto. Venezia. Je serais ravi d’avoir l’occasion de vous être utile, et vous prie… » (Paris, BnF, Manuscrits, Nouvelles acquisitions latines 389 : Correspondance numismatique d’André Morell d’ Arnstatt, pendant les années 1702-1703, p. 23-30 [en ligne sur Gallica] ; Callataÿ 2015, p. 312, II.6).