-Lettre du 8 décembre 1783 (de Den Haag) : « Pour la psyche, il est aussi flatteur pour moi que raisonnable à vous, que vous vous soumettez aveuglement à ma longue routine dans ces sortes de bagatelles, mais comme il doit vous paroitre dur pourtant de vous soumettre sans la bewust sein du pourquoi, voici la raison. Les Grecs (exceptés ceux d’Egypte sous les Lagides) et les anciens romains avant les empereurs, mettoient leurs inscriptions sur les medailles etc. en ligne droite et souvent de la façon la plus bizarre. Voyons s’ils avoient tort. Une medaille par exemple offre deux choses differentes, une figure quelconque et des lettres quelconques. Le but de la figure est de plaire par son elegance et sa simplicité. Le but des lettres est de dire promptement et distinctement ce qu’elles ont à dire; par consequent il faut que je place ces deux choses si heterogenes de façon qu’elles ne se confondent ni s’embrouillent, et qu’elles se font le moins de mal possible. Par consequent: il faut que je mette les lettres en ligne droite en forme d’ecriture, pour les rendre plus dissemblables encore aux figures de l’emblème, et plus je fais cela bizarrement et peu contrastant avec la belle figure, mieux je parviens à mon but. Vojez à present une medaille moderne. 1° je dois la tourner et retourner pendant un quart d’heure avant que de sçavoir les longissimes sottises qu’elle veut me dire, et 2° combien de fois par exemple des lettres ne s’entortillent dans la perruque du heros, et au lieu de me parler, me donnent l’idée peu modeste d’une gloire, autour d’une de ces têtes qu’on ne canonise pas. Je suis aussi certain que vous trouverez du sens commun dans ce raisonnement, que je le suis que les Gots et le vulgaire n’en trouveroient point. Ils ne voient que successivement des parties qu’ils ne sçauroient lier ensemble. Le nombre d’idées fait leur beau, et le principe de la petitesse du temps s’evanouit pour eux. Ainsi plus vous leur donnerez de l’enygme, du galimathias, et du brouillamini, plus ils seront naturellement contents. Cette grande verité vous pourrez la deduire aisement de nos principes demontrés; vous pourrez la voir par milles exemples en feuilletant seulement les grandes histoires metalliques modernes; et vous pouvez la verifier par des experiences charmantes prises sur les gens du peuple et sur la plus part des grands et des princes. Pour ces derniers, il y a une remarque à faire, infiniment curieuse et peut-être infiniment interessante. Ils ont une façon de juger du beau (et peut-être du bon) toute autre que le peuple, qui ne sçauroit juger que par la richesse d’idées, et toute autre que vous et moi, qui jugeons par la petitesse du temps et par la richesse d’idées. Ils distinguent le beau du laid (et peut-être le bon du mauvais) à très peu près de la façon que nous avons appris à distinguer un boeuf d’un âne, d’un cheval, d’un singe, et d’un arbre. C’est tres curieux; peut-etre je disserterai la dessus un jour. Mais voulez vous bien croire, ma chère Diotime, que meme pour vous et pour moi, qui ne sommes pas tout à fait des ignorants dans ces sortes de matieres, il y aura peu de choses plus difficiles que d’attraper bien, et de sentir identiquement la façon de juger du beau et du bon de la plus part des princes. Pourtant le plus fin connoisseur que j’ai vu, etoit un prince. C’etoit le celèbre Wenceslas de Lichtenstein, aussi bon antiquaire que Grand Capitaine. J’ai l’honneur de lui devoir beaucoup au fait de connoissance en pierres gravées. Le Duc de Noya Caraffa (insigne fripon, d’ailleurs comme antiquaire italien, et qui a si horriblement triché notre pauvre Stosch) m’a appris quantité de choses sur les medailles de la Grande Grece que je n’aurois jamais sçu sans lui. Voila des exeptions; mais si on me donnoit Diotime et Furstenberg sans leurs noms et leurs titres, j’en concluerois sur toutes les regles des probabilités, que la grande philosophie ne peut avoir rien de commun avec eux. (Universitäts- und Landesbibliothek Münster, Gallitzin-Nachlaß Band 6 ; Sluis 2010, lettre 4/91, p. 235-236).