-Lettre du 8 juin 1708 (de Deventer) : « Pour vous suivre pas-à-pas, j’ai vu que Mr. Le Clerc a inséré votre défense dans le XV. Tome de sa Bibliothèque choisie, et je l’ai lue avec beaucoup de plaisir. Je ne sais ce que le Docteur de Sorbonne y pourrait opposer, & sumum nobis vendet, s’il ne s’acquitte pas mieux, qu’il n’a fait la première fois. C’est assurément une chose bien étrange, que le Père Hardouin ne s’ouvre pas, et qu’il tienne comme fermé à clé son système, et les raisons qui l’ont porté à donner des paradoxes, qui sautent au yeux, à moins que les lecteurs ne les veuillent fermer. / Vous avez vu sans doute l’avertissement, que Mr Le Clerc donne des Œuvres de ce père, qui s’impriment à Amsterdam, et dont l’édition est fort avancée, à ce qu’on me mande. Vous verrez, par ce qu’on en dit, que presque tout sera changé, et j’espère que ce savant jésuite corrigera les fautes, dont j’ai remarqué depuis peu de jours quelques-unes dans son Historia Herodianum. Il nous y donne une médaille à la page 9, où il y a, selon Mr. Patin, Π ΡΙΟΔ ΤΤΑΡΓΟΥ, currente anno imperii Tiberii quarto, cum illo scribendum sit ΗΡΟΔΟΥ ΤΤΡΑΡΧΟΥ, uti patet ex ipso nummo, quem edidit Toinardus in notis ad Harmoniam suam evangelicam. Je ne doute pas que vous ayez vu ce livre, et c’est dommage que ce savant homme n’ait pu perfectionner ce bel ouvrage. Il y parle avec beaucoup de justesse de la famille d’Hérode, à ce qu’il me semble au moins, et il y soutient que Jésus Christ n’a pas célébré la Pâque juive le jour avant sa mort, ce qui est contraire au sentiment du Père Hardouin, comme vous le savez. Le livre de Nummis Populorum est sans doute son meilleur ovurage, et quoiqu’il y ait des grandes bévues, et qu’il se soit approprié les découvertes des autres, l’honneur lui est pourtant dû, d’avoir montré un chemin pour bien ranger les médailles ; car en suivant ses traces, l’on pourrait faire un catalogue des divinités païennes, qui se rencontrent sur les médailles, par lequel on verrait incontinent, en quelles villes et pays elles étaient adorées, et où elles avaient leurs temples et leurs autels. Si j’avais le temps, je le pourrais facilement entreprendre, parce que j’ai tant de remarques sur cette matière, que je pourrais augmenter Lilius Gyraldus plus que de la moitié, et les inscriptions anecdotes, qui sont en bon nombre dans mon petit cabinet les pourraient illustrer admirablement. L’illustre Mr. de Spanheim fait mention de la médaille, où Caius Caesar, surnommé Caligula, est appelé ΓΑΙΟΣ ΚΑΙΣΑΡ ΘΟΣ ΑΥΤΟΚΡΑΤΩΡ à la page 445 de ses dissertations de l’édition de Londres, et je crois avec vous que c’est la médaille, qui est publiée par le chevalier Patin à la page 95. Je l’avais marqué aussi dans une dissertation ébauchée De arrogantia Rom. Impp. In imitandis Diis, et je vois que je jugeais alors, qu’on y devait mettre ΣΑΣΤΟΣ, et joindre ΓΑΙΟΣ ΚΑΙΣΑΡ ΑΥΤΟΚΡΑΤΩΡ, et ΘΟΣ ΣΑΣΤΟΣ. Je ne vous saurais presque dire combien cette conjecture me flatte ; et quoique Caligula ait été assez fou pour prendre le titre de ΘΟΣ sur ses médailles, je ne crois pas qu’il l’ait fait ici ; et s’il s’y lit ΣΑΣΤΟΙ, comme fait aussi Mr. Vaillant, à la page 11, de la seconde édition de ses médailles grecques, il est certain que par ΘΟΣ ΑΥΤΟΚΡΑΤΩΡ est désigné Augustus, dont la tête s’y voit avec celle de Caligula. Mais j’ai remarqué que le titre d’autokrator imperator, ne se done pas sur les médailles latines à Auguste / mis au rang des dieux, et qu’on y lit Divus Agustus, Divus Augustus Pater, Divo Augusto, Augusto Deo, Divus Augustus Pater Patriae. Et je crois qu’on trouvera difficilement sur celles des autres empereurs consacrés que les titres d’Imperator et de Divus soient joints. Je suis persuadé à cette heure, qu’il n’est pas vraisemblable que les Grecs aient fait le contraire, et c’est de là que le ΘΟΣ ΣΑΣΤΟΣ me plaît beaucoup sur cette médaille des Iliens. Vous rapportez aussi dans votre P.S. le mot ΘΟΣ à Auguste, et vous ne parlez pas du titre d’ΑΥΤΟΚΡΑΤΩΡ qui, selon mon sentiment, doit être donné à Caligula, et de là s’ensuit, qu’on y doit remettre ΣΑΣΤΟΣ, parce qu’Aguste est rarement appelé absolument ΘΟΣ, à moins qu’il n’y soit ajouté quelqu’autre particularité, comme ΘΟΣ ΘΟΙ ΥΙΟΣ, Deus Dei filius. Vous avez bien remarqué, Monsieur, que Caligula est appelé Imperator dans l’inscription 64, de la neuvième classe de Reynessius, et voici une médaille grecque qui décide toute l’affaire ; le chevalier Patin en est mon garant, et il donne le revers d’une médaille à la page, où il y un Apollon tout nu, ΔΙΔΥΜΥΣ ΜΙΛΗΣΙΩΝ, et de l’autre côté, selon son témoignage la tête de Caligula, et ΑΥΤ ΚΑΙΣΑ ΓΑΙΟΣ ΓΡΜΑΝΙΚΟΣ CΑΣΤΟC. Mr Vaillant fait aussi mention de cette médaille, mais c’est dommage qu’il n’y ait pas mis la légende qui est à l’entour de la tête de cet empereur. J’ai oublié de dire encore un mot de la signification que le Père Hardouin donne à son ΠΡΙΟΔΟΣ : Nam ea vis est hujus vocis Periodou in nummis, ut annum currentem exprimat : id quod duobus aliis exemplis liquet. Je voudrais qu’il nous eût marqué ces passages, car je n’ai pas trouvé encore, quoique je ne veuille pas le nier, que ΠΡΙΟΔΟΣ signifie un an, mais bien un certain nombre d’années, comme il est évident par divers Periodoi, circuitus certorum annorum, dont parlent Scaliger dans son livre de Emendat. Temporum, Petavius et d’autres, pour ne rien dire des autres significations de ce mot, et entr’autres de Periodonikès. De plus je ne sais pourquoi ce savant jésuite y a ajouté currentem ; car quand on y met .. ou etous tetartou, ne serait-ce pas la même chose, c’est-à-dire Anno quarto ? Je suis fort aise que Mr. Schott veuille nous donner Suétone et Virgile illustrés par les médailles et bas-reliefs, et j’espère qu’il nous y fournira des pièces anecdotes, afin que non seulement les jeunes-gens, mais aussi ceux qui sont avancés en âge en puissent profiter. Nummum Phidonis non ejus aetatis esse, qua milli tribuit doctissimus Begerus, plane existimo ; et je crois, qu’on le doit attribuer à ceux de Thèbes dans la Béotie, qui marquaient ainsi leurs médailles, comme il paraît par celles qui nous sont données par Goltzius Table XVI, et que ΦΙΔΟ est le nom du magistrat, ou / son commencement ; ΚΤΡΙΓΟΡΙΟΣ se lit sur une d’elles ; j’ai aussi une médaille d’argent, où il y a d’un côté un bouclier tout semblable, et de l’autre un vase, d’où sort une vigne avec la légende FAET, et les savants l’attribuent aux Béotiens. Il est de plus étonnant qu’on ne voie pas de tels seymboles sur les médailles d’Argos, mais d’autres qui n’en approchent nullement, comme vous pouvez voir à la Table XII. dudit Goltzius. Ajoutez y que la médaille du roi de Prusse est écrit ΦΙΔΟ au lieu que les auteurs nous donnent toujours ΦΙΔΩΝ, ΦΙΔΩΝΟΣ ; quoique je ne veuille pas critiquer cela, sachant bien que l’Ι et l’Ι, l’Ω et l’Ο sont mis l’un pour l’autre sur les monuments anciens, n’y soutenir ou conjecturer aussi qu’il pourrait y avoir sur l’original φιλο, à cause que je crois que Mr. Begerus, qui était si exact et si savant, aurait bien remarqué cela. Nonobstant tout cela, je suis curieux de voir ce que Mr. Schott nous en dira, et j’espère que le bon Dieu lui donnera des forces pour pouvoir achever ce qu’il a entre les mains, et ce qu’il entreprendra dans la suite. Je viens à cette heure, Monsieur, à votre seconde lettre, et à ce qui me touche en particulier dans la première. Je vois donc, que vous avez dessein de mettre mon nom devant votre belle dissertation ; & quamvis me eo non digner honore, puisque vous le voulez, je le veux aussi, mais ea lege atque omine, qu’il y aura une trêve aux compliments, et que vous ne ferez pas un panégyrique de mon inclination pour toutes sortes d’études, et principalement pour les belles-lettres, et les antiquités grecques et romaines, tant sacrées que profanes. Si ce que j’ai dit à l’égard du passage de Thucydide vous peut servir, je vous en fais maître. Je suis bien aise que le père de la Rue vous ait conté la même histoire dont je vous ai parlé dans ma lettre ; et assurément j’aurais pu dire beaucoup sur les extraordinaires et bizarres explications du Père Hardouin, si je n’étais presque toujours occupé ailleurs. Mais je ne puis me résoudre à faire imprimer ma lettre toute entière, et ce que vous dites au commencement de votre première lettre, ces Messieurs-là ne croient pas que ce soit un péché que de calomnier ses ennemis, me rend cauteleux ; car quoique je me flatte que je suis supra calomnias, et que je ne les craigne pas, il en reste toujours quelque impression, dans ceux qui sont d’un naturel faible ou malin, et envieux. J’ai lu l’explication du mot ΚΟΣΩΝ ; j’en ai ri mon saoul, aussitôt que je l’ai trouvée dans le Journal, et je ne puis comprendre, comment de telles pensées peuvent venir à un Père qui a de l’érudition, et un bon jugement, quand il n’en abuse pas et qui est d’une grande lecture. La moitié des œuvres du Père Hardouin est achevée, je l’ai fait venir, car on peut faire cela, comme vous avez appris sans doute de l’avertissement de Mr. Le Clerc, et j’employerai quelques jours à la collationner, avec / la première édition, pour en connaître les changements, et voir s’il s’en est bien acquitté. Je ne crois pas pourtant que ce père sera si mal avisé que de changer ce qu’il a dit dans son livre De Nummis…de Cosa et qu’il y mettra son Caesar opem toti Syriae tulit. Ωνησατο ; car le mal est que le verbe Ωνεομω signifie toujours emo, et nous serions bien redevables à ce père, s’il nous voulait apprendre, où il est mis pour opum ferre. A Dieu ne plaise que je puisse approuver de telles extravagances, quas narrare est refutare, et je n’y vois rien de solide, rien de vrai, mais plutôt des châteaux en l’air et ludum jocumque Antiquitatis studii. Car qui a jamais vu, qu’on prenne les lictores pour des gens qui coupaient les bois, et les fasces pour des haches à couper des cèdres sur le Mont Liban ; et pourquoi est-ce qu’il fait des deux dernières lettres un mot et non pas deux, comme de chacune des précédentes ? Enfin, Monsieur, la médaille de la famille Junia, le devrait détourner d’une aussi bizarre explication car on y voit des lictores ou halebardiers d’une même façon, et le chevalier Patin y allègue aussi celle de ΚΟΣΩΝ. Mais j’abuse de votre patience ; Adieu donc, et je suis, Monsieur, etc. » (Cuper 1743, I, p. 11 ; Sarmant 2003, p. 134, notes 128).