Lettre du 20 avril 1772 (de Nîmes) : Monsieur , Je m’estimerais infiniment honoré de pouvoir exécuter les ordres de Son Altesse Monseigneur le landgrave de Hesse Cassel, et de lui procurer des médailles pour son cabinet. Mais je vous prie de réfléchir que depuis qu’on a terminé les travaux qu’on faisait à notre fontaine, il ne se trouve que rarement des médailles qui méritent d’être recherchées, et les brocanteurs de cette ville les tiennent encore à un prix si haut, qu’il n’est point convenable de les payer au prix qu’ils y mettent. Lorsqu’on exécutait ces travaux, le goût de ramasser des médailles saisit un grand nombre de nos citoyens, et il y eut beaucoup d’amateurs et d’antiquaires qui en formèrent de[s] suites, dont ils se sont défaits peu à peu. Il ne reste plus chez nous que celle des médailles de grand bronze que possède Mr Boudon de Clérac, à laquelle il réunit ce que possédait Mr Bon, ancien premier président de la Cour des aides de Montpellier. Cette suite aumentée de toutes celles qu’il a peu acquérir, est aujourd’hui d’environ treize cent médailles, dont il cherche à s’en défaire. Dans ce nombre il y en a beaucoup d’extrêmement bien conservées, et plusieurs recouvertes de ce beau vernis vert, la patina comme disent les Italiens, qui fait estimer une médaille quoique commune. Je crois que si S. A. voulait faire l’emplette de cette suite, elle pourrait placer d’un seul coup dans son cabinet un nombre considérable de médailles qu’il lui serait fort difficille d’acquérir une à une, et qui se feront long tems désirer. / Je vais entrer dans quelque détail pour vous donner une idée succincte de cette suite. On a placé à la tête quelques grandes médailles des Ptolémées d’Egypte, une d’Antiochus Epiphane, des as romains et une médaille de Malthe avec les charactères puniques. Il y a plusieurs médailles qui suivent de notre colonie de NÎmes en moyen bronze avec les variétés. Deux entre autres qui sont supportées par un pied de biche ou de sanglier, qui sont d’une rareté extrême, fort estimées des antiquaires et dont Ménard a donné la figure dans le 7e volume de son Histoire de NÎmes. On y trouve aussi, avec celles d’Auguste, quelques médailles de colonies espagnoles. Les têtes de Jules au revers d’Auguste de fabrique espagnolle. Auguste au revers ROMAE ET AUG. Livie au revers d’Auguste. Tibère au même revers ROM. ET AUG. que dans celles d’Auguste. On y a placé à la suite des Agrippa, des Antonia en moyen bronze, et on a fait de même dans le reste du recueil pour les têtes qui ne se trouve que dans ce format. Deux Agrippines de Germanicus avec leurs têtes. Des Caligula, dont un a au revers les trois sœurs Agrippine, Drusille et Julie. Sept Claudes, un desquels est avec l’arc de triomphe. Un contorniate de Néron. Un Othon moyen bronze d’Antioche bien conservé. Un beau Vitellius. Domitille et Domitia s’y trouvent aussi. Dans celles de Nerva, on y voit les mulae pascentes. Parmi une 50ne de Trajan, il y a quelques revers rares. Plotine au revers du même empereur est de fabrique égyptienne, mais la latine avec celles de Marciane et Malidie ne sont que des médailles modernes du Padouan. Hadrien offre plusieurs revers avec les noms des provinces, et les RESTITUTOR d’Afrique, de la Gaule, de l’AchaÏe &c. Deux médaillons d’Antinous, que je ne voudrais pas garantir. Antonin Pie a le REX QUADIS DATUS extrêmement bien conservé. Les Marc Aurèle, Verus, Faustine, Lucille et 60 Commodes sont beaux, de même que le Pertinax et Didius Julianus. Je n’ai pas assez examiné la Didia Clara et les Pescennius Niger pour en dire mon sentiment. Il y a des Albins, des Sévères et des Julia Domna d’une fort bonne conservation. Plautille n’est qu’en très petit moyen / bronze, attendu qu’on n’en a pas d’autre. Caracalla, Geta, Macrin, Diaduménien et Elagabale, Paula, Aquilia Severa, Orbiana, sont en fort bon état. Il y a une Tranquilline grecque. Trois Gordiens d’Afrique, cinq Hostiliens, une Cornelia supera grecque et neuf beaux posthumes, &c &c. Voilà, Monsieur, ce qui s’est présenté hier à mes yeux dans la vue rapide que j’ai donné sur cette suite. Le maÎtre, qui n’a pas assez de connaissance des médailles, n’en a point de catalogue détaillé. Il demande, du total, cent cinquante louis, ce qui fait 3600 l.t. de France. S’il vous prend envie de contracter avec lui, vous aurez la bonté de lui en écrire. Il ne faut pas s’attendre qu’il détache la moindre chose; on ne peut espérer de l’avoir qu’en lot. Son adresse est à Monsieur Boudon Clérac à Nismes. Je comprens combien il est difficille d’achetter des médailles sans les voir. Rien n’est plus délicat que de porter un jugement assuré sur l’authenticité d’une médaille, et de convenir d’un prix qui dépend souvent de l’honnêteté du vendeur et de l’envie de l’acheteur. On ne trouve aucun bas-relief de bonne main dans ce pays-ci. Il y a que des vases simples et sans ornement de terre ou de bronze. J’en ai ramassé quelques-uns, et ce que j’ai trouvé de mieux est une assez bonne tête de bronze presque colossale, que j’eus l’honneur de montrer à Mgr le prince héréditaire de Brunswick, qui se donna la peine de venir voir mon cabinet d’antiquité et d’histoire naturelle, que j’ai beaucoup aumenté depuis mon retour d’Italie. Ce goût ne m’a point abbandonné et je vais le placer bientôt dans une nouvelle maison que j’ai fait bâtir, où il sera plus à portée d’être vu par les étrangers, qui le regardent comme une des curiosités de notre ville. J’y ai joint une suite de médailles et de monoyes curieuses, dont le nombre est très considérable, et parmi lesquelles la suite de celles de peuples et de villes est fort nombreuse et se distingue / des autres par les beaux médaillons grecs d’argent que j’y ai placés. Celles des roys ont aussi quelques médailles curieuses, entre autres une tablette des médailles des Ptolémées en argent bien conservées. J’ai quelques médailles d’or parmi lesquelles un petit médaillon de Ptolémée Sôter au revers de Ptolémée Philadelphe avec leurs femmes, un Vespasien au revers de la Judée, un beau Commode à fleur de coin, &c. &c. Une longue suite de sceaux de Moyen Age, et un qui mérite la plus grande attention, qui est du tems de l’empereur Julius Nepos en plomb. Vous voyez tout le cas qu’on en doit faire. Ce ne sont pas les seules richesses de mon cabinet, dont je ne vous ai parlé que pour vous faire connaÎtre le goût que j’ai entretenu. Je n’en jouirai pas longtems à mon âge. Mes héritiers ne chercheront qu’à s’en défaire au plus vite. J’ai été charmé, Monsieur, de faire connaissance avec vous. Il y a longtems que je connaissais votre savoir et votre mérite. J’ai parmi les livres votre Specimen Historiae naturalis globi terraquei, que j’ai lu avec plaisir. Vous m’avez fait un plaisir bien sensible de me parler de Mr le baron de Mansberg, dont j’avais quelques fois des nouvelles lorsque j’étais en Italie. Si cet aimable baron est encore en vie, aiez la bonté de me rappeller dans son souvenir, et de lui offrir la continuation de mes services. Je vous les offre aussi à vous, Monsieur, je serai charmé de vous être utile comme je m’empresse de l’être à Mrs Schlaeger, Walch et Ludwig, savans allemands qui m’honorent de leur correspondance, et qui sont les seuls qui me restent de plusieurs autres que la mort a enlevés. Votre lettre m’est parvenue en droiture par la voye de Francfort et des frontières de l’Allemagne. J’addresse cette réponse à Mr Mallet à Genève, comme vous me marqués de le faire, et si à l’avenir vous voulés continuer à m’écrire, vous pourriez vous servir de la voye de ce Mr Mallet, qui serait plus sûre et plus commode pour moi. J’ai l’honneur d’être avec une estime particulière et avec respect, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur, Séguier A Nismes le 20e avril 1772 (Kassel, Universitätsbibl., 4° Ms. Hist. Litt. 2; Rambach 2023, p. 27, note 37)