-Lettre du 9 juillet 1790 (de Paris) : « Monsieur, j’avais depuis longtemps abandonné la litérature orientale dégoûté des procédés des critiques plus attentifs à relever les fautes que les succès, et assez injustes pour repousser avec la même chaleur les conjectures et les assertions, lorsqu’un savant anglais, me fit l’honneur, il y a quelques mois, de me demander mon avis sur la manière dont il expliquait quelques médailles samaritaines. Je revis pour lui repondre mes anciens travaux, et j’y trouvai de plus de quoi composer un petit mémoire, que je lus le 13 mars dernier à la rentrée publique de l’Academie des inscriptions. Comme il ne doit paraître dans notre recueil que dans quelques années, je demandai à l’Academie la permission de le réduire, et d’en publier le résultat par la voie du Journal des Savans. Je venais de livrer cet extrait à l’imprimeur, lorsque M. Fournier m’apporta la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 28. de mai dernier. Je lui répondis, que mon intention avait été de vous envoyer un exemplaire de l’extrait ; et je lui temoignai en même temps, combien j’étais touché de la continuation de votre amitié. Depuis ce moment, je n’ai cessé de presser les ouvriers, plus occupés de ce qui se passe parmi nous, que des monnaies qu’on frappait autrefois à Jérusalem. Pour ne pas vous faire attendre plus longtemps, je vais remettre cette lettre a M. Fournier; il la faira partir par le prochain courier, je lui remettrai ensuite l’exemplaire de mon extrait, dès que 1’imprimeur voudra bien me l’envoyer. L’objet de mon mémoire n’est pas bien important. J’ai cru de mon devoir de légitimer la médaille surfrappée de Trajan, sur laquelle des membres de l'Académie avaient autrefois répandu des doutes. C’est celle qu’avait produite M. Henrion et qui se trouve dans le 3è volume de nos memoires, pag. 198. quoique je fusse assuré de son antiquité; il fallait pour en convaincre ceux mème qui ne sont pas familiarisés avec ces monuments, avoir un plus grand nombre d’exemples. J’ai cité les deux médailles que vous avez rapportées du cabinet de feu M. Hunter d’après la description de M. Woide. J’en ai cité une quatrième qui se trouve à Paris et qui est également authentique, et d’après ces quatre monuments, il est démontré que les Juifs ont fait frapper des monnaies en caractères samaritains sous le règne de Trajan ou sous celui d’Hadrien. Vous sentez aisement, Monsieur, qu’il résulte de là, que plusieurs médailles qu’on faisait remonter au temps de Simon, n’ont été frappées que longtemps après. Je ne parle pas seulement de celles dont les lettres sont défigurées par l’ignorance des ouvriers ; il en est d’autres que des graveurs plus habiles ont pu produire, et qui par leur volume, ainsi que par la forme des lettres, pourraient bien ne pas appartenir aux premiers princes hashmonéens. Ainsi au lieu de fixer le temps des médailles samaritaines, j’ai voulu prouver qu’il n' est pas possible jusqu’à présent de le déterminer. Je ne rougirai jamais de proposer des doutes, parce que ce sont des dehors qu’il faut reconnaître et forcer pour parvenir à la verité. Vous verrez dans l’extrait de mon mémoire deux autres médailles qui vous intéresseront, l’une est d’Antigonus. Elle représentait sur un de ses côtés le nom de Mathathias, dont il reste plusieurs lettres, et que M. Pellerin avait trouvé en entier sur une de ses médailles; il avait cru que ce nom désignait le chef de la race des Hashmonéens, uniquement fondé sur l’explication forcée du reste de la légende, qui est très mal conservée. Je viens de la consulter de nouveau, car vous savez sans doute que toutes les médailles de M. Pellerin ont passé au Cabinet du Roi. La 2e médaille est de Jonathan. J’en avais cité de semblables dans ma dissertation sur les médailles d’Antigonus. (Voyez le volume 24 des Mém. de l’Académie des Inscr. pag. 61). Je n’y avais lu jusqu’alors que le Than et le Nun qui terminent le nom de ce prince. J’en ai trois sous les yeux, dont l’une mieux conservée nous est parvenue depuis la lecture de ma dissertation. Les lettres très menues ne sont pas toutes bien lisibles sur les trois médailles, mais elles s’éclaircissent mutuellement. Pour pousser l’exactitude jusqu’au scrupule, voici l’analyse de la légende, par rapport à la conservation des lettres. L’iod et le Ht, qui commencent la légende, sont très nets; le Van l’est un peu moins, mais sa forme est clairement indiquée; le Nun, le Thau et l’autre Nun sont incontestables, de même que le He qui vient après. La tête du Met a un peu souffert, mais on voit sa configuration et l’obliquité de sa queue est très sensible; nul doute sur le Lamed et sur le Caph qui terminent la légende. J’aurais voulu faire ponctuer le petit nombre de traits que le temps a alterés, mais il n’en résultait que de la confusion ; et vous verrez aisément qu’il ne doit rester aucun doute sur la leçon ; car avec les lettres qui sont incontestables, il est impossible de tirer de la légende autre chose que ceux des mots Jonathan Rex. Le nom de ce prince est exprimé ici avec 6 lettres, tandis que sur les médailles précédentes il n’en contient que 4, différence que a ce que je pense ne doit pas nous arrèter. Le titre de roi prouve clairement que je m’étais trompé en attribuant ces médailles au frère de Simon. Vous étiez persuadé qu’il fallait lire Johannes partout ou j’avais lu Jonathan, ou que le même prince avait porté ces deux noms. Je suis assuré de la leçon que j’avais proposée. J’ai devant mes yeux six médailles, où le nom de Jonathan est exprimé plus ou moins clairement en 4 ou 6 lettres. J’en ai cinq ou le nom de Johannes est caracterisé par le Hett et par deux Nun. La ressemblance du metal, du volume, des types et du travail, ne prouvent nullement que ces monnaies appartiennent au même prince, mais seulement que Jean et Jonathan vivaient dans le mème temps ou dans des temps voisins. La médaille ou vous avez lu iotaia prouve qu’ils ont regné au temps d’Auguste. Je n’ai point fait des recherches à cet égard, et je m’en rapporte à vous. J’ai vu avec plaisir le dessin du demi-sicle, que vous avez acquis. Le cabinet du roi en conserve un absolument semblable pour les types et pour les legendes, excepté qu’il fut frappé dans la première année. Je vous en envoie le dessin. Il pèse 132 de nos grains et j’ignore si ces grains sont de même nature que les vôtres ; je vois seulement que nous différons essentiellement sur le poids de la drachme attique. Je tâcherai de vous envoyer une pièce de plomb qui vous donnera exactement le poids du demi-sicle du cabinet du Roi. J’admire le zèle avec lequel vous soutenez l’honneur des médailles samaritaines ; je n’aurais pas ce courage. Si l’on doutait de leur authenticité, il faudrait douter de celle des médailles grecques et des romaines. Je n’ai pas lu l’ouvrage de M. Tychsen, mais quand même ses raisons seraient tres ingénieuses, elles n’affaibliraient jamais l’autorité des monuments qu’il veut détruire. Tous les grands cabinets de l’Europe contiennent des médailles samaritaines; celui du Roi en particulier, par les nombreuses acquisitions qui se sont faites de mon temps, en conserve plus de 80. Partout elles ont eté scrupuleusement examinées par des antiquaires à qui une longue experience avait appris à discerner les pièces vraies d’avec les pièces fausses ; partout on a déposé en leur faveur. Quelques difficultés qu’on nous oppose, elles ne balanceront point les preuves tirées de l’inspection des monuments. Par exemple, je vois par le prologue que vous avez mis à la tête de votre ouvrage pag. première, que M. Tychsen prétendait qu’avant le 13è siecle les auteurs juifs et mème les Pères de l’Eglise n'avaient fait aucune mention des sicles. Que faudrait conclure de cet argument negatif, ou qu’ils n’avaient pas eu occasion d’en parler, ou que tous les ouvrages n’étaient pas venus jusqu’à nous ; mais cet argument n’est pas fondé. Plusieurs critiques ont cité les passages qui le détruisent. Vous même avez rapporté entr’autres témoignages celui de l’historien Josèphe, et à cette occasion, permettez moi de hasarder une conjecture. Josèphe donne au sicle hebreu 4. drachmes attiques. Je trouve dans mes papiers un passage de Saint Jérôme, que vous connaissez sans doute. Siclus enim 'viginti obolos habet, et quarta pars sicli quinque sunt oboli. Hieron. in Mich. proph. Cap. 14. T. 3. p. 1520. lci se présente une de ces contradictions si fréquentes parmi les écrivains, quand ils parlent de quelque usage. Suivant Josèphe le sicle contenait 4. drachmes attiques; suivant Saint Jérôme 3. Drachmes. Il est possible que l’un ou l’autre se soit trompé; Il est possible que le poids du sicle ou de la drachme ait éprouvé des changements ; il est possible que le hasard seul ait produit ces deux évaluations contraires ; et en effet, il se pourrait que Saint Jerôme et Josèphe fussent partis de différentes bases. Je m’explique. Voici les poids de quelques sicles du cabinet du Roi.
Sicle de la première année 268. de nos grains.
Demisicle, même année 132.
Sicle de la 2.e année ...... ... 267.
Sicle de la 3.e année 258.
Autre, même année 256.
D’après un grand travail que je fis, il y a quelques années, sur le poids des monnaies attiques, il me parut que la drachme attique, dans les beaux temps de la Grèce, vers le temps de Démosthène, pesait environ 79 de nos grains. Suivant ce rapport, le sicle de Saint Jérôme, équivalant à 3 drachmes et un tiers aurait donné 263 grains, ce qui revient aux poids que nous offrent les sicles du cabinet du Roi. Voici maintenant comment on pourrait justifier l’évaluation de Josèphe. Presque tous les tétradrachmes attiques pèsent plus de 300 de nos grains. Cependant je n’ai trouvé un qui ne pèse que 268 grains, parce qu’il est fourré. Quand semblable médaillon fut tombé entre les mains de Josèphe, il en aurait conclu que la drachme attique n’était que de 67 grains, et que le sicle contenait 4 de ces drachmes. D’autres écrivains anciens n’ont donné que deux drachmes au sicle ; c’est peut-être une faute de copiste ; au surplus il n’est pas nécessaire d’entrer pour le présent dans ces discussions. Je joins à cette longue lettre. ma 3e lettre au Journal des Sçavans qu’on m’apporte à l’instant, et qui contient le résultat de mon mémoire lu récemment à 1’Académie. Vous y verrez deux fautes de copiste. dans le mot Ionathati écrit en caractères hebreux. 2.0 le dessin du demi-sicle du cabinet du Roi. 3.0 une pièce de plomb qui en représente exactement le poids. Je viens de relire votre dissertation sur les monuments phéniciens imprimés à la fin du beau Saluste que je dois à votre amitié. Je suis entièrement de votre avis sur l’inscription de Malte. Cette fatale lettre que je pris pour un He, que M. Swinthon prit ensuite pour un Mem, est certainement un Schin. M. Michaelis m’avait mandé qu’elle devait avoir cette valeur dans l’avant dernier mot. Je l’avais soupçonné plus d’une fois ; mais je ne savais qu’en faire dans les autres mots où elle se trouve. En supposant, comme vous avez fait, qu’on avait supprié les loi et les Vau, vous avez levé toutes les difficultés. Je l’ai reconnu avec plaisir. Mais je vous avoue que je persiste dans mon opinion à l’égard de plusieurs médailles phéniciennes et puniques. Je voudrais avoir le temps de la justifier ici ; vous y verriez par exemple qu’il est impossible d’attribuer à la Ville de Leptis, celles que je rapporte â Bochus, le Coph est une lettre tellement caractéristique qu’il est impossible d’hésiter entre ces deux leçons. J’ai beaucoup de remarques sur les médailles puniques frappées en Afrique et en Espagne; mais je n’ai pas le temps de les rédiger, et je ne compte point en faire usage. Je vous prie d’agréer les nouvelles assurances des sentiments qui m’attachent à vous, et avec lesquels j’ai l'honneur d’être, Monsieur, à Paris ce 7 Juill. 1790 » (Perez Bayer 1790, p. III-VIII).