Lettre du 14 mars 1768 (de Paris) : « Je vous enverrai, par la première occasion, le livre de M. Beauvais ; vous recevrez, cette fois-ci, le dernier supplément de M. Pellerin, et vous n’y verrez pas sans étonnement la sortie qu’il a faite contre moi. Elle tient la plus grande partie de son ouvrage et n’a aucune sorte de fondement. Jamais surprise ne fut égale à la mienne lorsque j’eu lu cet endroit. Toutes ses critiques analysées se réduisent à de si petites minuties, que je soupçonnais un motif secret qu’il n’avait pas voulu développer. J’ai appris depuis qu’il annonçait deux griefs contre moi : le premier était que j’avais emprunté de son cabinet quelques médailles phéniciennes, que je les avais fait graver sans le prévenir de l’usage que j’en voulais faire ; le second, que je n’avais cessé depuis dix ans d’attaquer ses explications. Ma réponse est facile. Depuis vingt ans j’ai été prendre chez lui des médailles ; il en est venu consulter au Cabinet, il m’a toujours confié les siennes et m’a souvent dit que je pouvais les publier, les expliquer tout comme je jugerais à propos. J’ai profité de sa complaisance et j’ai plusieurs fois négligé de l’instruire de mes projets, comme il ne m’instruisait pas des siens lorsqu’il consultait les médailles du Cabinet du Roi. Quant aux attaques préméditées depuis dix ans, elles se réduisent à deux exemples qu’il cite, et dans lesquels on ne voit point d’attaques directes, mais seulement quelques doutes proposés sur une ou deux de ses explications, doutes que je devais exposer, parce que j’y étais forcé par la nature de la matière. M. Pellerin m’avait envoyé son ouvrage ; je lui écrivis une lettre le lendemain pour me plaindre avec amitié de la dureté des expressions qu’il avait rapportées. Il me répondit avec politesse, et suppose que je me plaignais de ce qu’il m’avait attaqué. Il était visible que ce n’était que la forme qui me choquait. Je l’ai rencontré depuis ; nous nous sommes embrassés ; j’ai voulu me justifier des reproches qu’il me fait. Il n’a rien voulu entendre, disant toujours que c’étaient des misères et qu’il n’en fallait plus parler. Je suis très persuadé qu’on a cherché qu’à l’aigrir, et l’on en est si bien venu à bout, qu’il a conservé le dessein de se venger pendant plus d’un an ; que le manuscrit de l’ouvrage a resté longtemps chez le libraire, et que pendant tout ce temps-là je le voyais chez lui, au Palais-Royal, sans qu’il me témoignât le moindre mécontentement. Aujourd’hui je suis assez embarrassé ; l’obscurité de la matière semble exiger de ma part une réponse. D’un autre côté, quelques précautions que je prenne, cette réponse ne pourrait être que chagrinante pour lui, car je pourrais montrer clairement que dans certains endroits il me fait dire le contraire de ce que j’ai dit ; que dans d’autres, le point de la question s’évanouit à mesure que l’on appronfondit ; que dans d’autres encore, les plaintes sur mes prétendues attaques sont plus que chimériques, etc. Or, je ne veux pas le chagriner ; son âge, ses lumières, ses travaux, notre ancienne amitié me le rendront toujours cher et respectable. Pour vous mettre au fait de ses objections, je joins quelques notes sur l’exemplaire que je vous envoie. Ces notes, faites à la hâte, ne sont que pour vous, et je vous prie de ne pas les communiquer. Elles auraient été plus nombreuses si j’avais voulu attaquer ses assertions particulières, où tout est hasardé, destitué de preuves et contraire aux vraies notions qu’on doit avoir sur cette matière. Mais, comme je vous l’ai dit, je ne veux point en venir à une guerre ouverte avec lui ; mes sentiments m’en éloignent et la chose ne le mérite pas » (Nisard 1877, lettre n° XXXV, p. 289-292).