-Lettre du 21 janvier 1760 (de Paris) : « Une incommodité qui m’a été causée, Monsieur, par la vigueur de cet hiver, ne m’a pas permis de répondre plutôt à la dernière lettre dont vous m’avez honoré. Je vous rends grâces de la peine que vous avez prise de me marquer en quoi consistent les médailles que vous avez en caractères exotiques. Il m’en reste sept ou huit étrusques de la ville de Capoue. Mr le duc de Noia m’en a enlevé plusieurs de cette ville, et un grand nombre d’autres villes de la Campanie et de la Grande Grèce. Parmi celles que je lui ai cédées, il y en avait une dont le type était une victoire couronnant un trophée, laquelle me manque à présent. J’en avais aussi une d’argent de la même ville avec le type de l’aigle. C’est la seule que j’aie connue de Capoue en ce métal. Je n’ai pu la refuser à ses vives instances. La légende de ces médailles ne souffre plus de difficulté et l’on peut s’en tenir à la lecture des autres qui ont été publiées par Mrs Maffei, Olivieri, Gori, Bourguet, Arrigoni &c. Mais il est étonnant qu’ils en aient donné si peu, vu la grande quantité que vous me marquez qu’il y en a / [fol. 166v°] dans les cabinets d’Italie. J’en ai quelques-unes qu’ils n’ont pas publiées, s’ils les ont connues. Une entre autres de Cumes et de Liternum, une autre de Nocera ayant pour type un levrier dont la légende est en deux lignes. Il paraît qu’on n’y a lu que le premier mot; on n’a point parlé du reste. Je trouve aussi que la médaille de Teanum publiée par Mr Mazocchi n’était pas entière. Il est bien extraordinaire qu’il y en ait ici entre mes mains de mieux conservées que celles qui sont en Italie. Si j’étais à portée de fouilles dans toutes ces grandes collections, je pense que tout ignorant que je suis, j’y découvrirais beaucoup de médailles d’autres villes en caractères soit étrusques, soit pelasgiques, soit umbriens, lesquels étaient à peu près les mêmes. Les petites différences qui s’y trouvent ne méritaient pas selon moi toutes les disputes qu’il y a eu entre les savants sur ce sujet. Il faut espérer qu’à la fin la lecture des médailles de villes étant constatée, et la vraie valeur des caractères qui en forment les noms étant connue par ce moyen, quelqu’un [d’] impartial prendra la peine de rectifier et de refondre les différents alphabets qui en ont été publiés, et d’en donner un bien exact capable de faciliter la lecture et l’intelligence de touts les autres monuments qui restent en ces sortes de caractères. Je ne comprends point parmi mes médailles étrusques, celles qui sans légende contiennent des marques de leur valeur relativement à l’as romain, mais seulement celles qui ont des légendes. Je pense comme vous que la petite de bronze / [fol. 167] qui contient les deux lettres VT peut bien être de Todi. J’en connais une semblable, c’est un fer de haste ou de lance qui y est représenté. Le même type se voit sur des médailles grecques. Je connoissais aussi les médaille de Tarcondimotus et de Musa qui ont été publiées par Mr Maffei dans deux de ses ouvrages. Je vous suis cependant bien obligé de m’en avoir envoyé les dessins. Il ne m’est point revenu qu’on eut vu jusqu’à présent une seconde médaille de la reine Musa, mais il y a ici dans le cabinet du roi une médaille de Tarcondimotus pareille à celle de feu Mr Maffei. Le hazard et l’argent m’en ont procuré aussi plusieurs de rois dont les unes sont uniques, et les autres d’une rareté singulière. Si vous étiez curieux de les connaître, je vous en enverrais volontiers la notice. Celle dont vous me parlez qui a pour légende [quatre lettres en «caractères africains»] avec une tête de femme d’un côté, et une tête casquée de l’autre côté, est attribuée à Livie (ou plutôt à Julie) parce que l’on a plusieurs médailles de Tibère TI. CAESAR. AVGVSTVS avec satyre, lesquelles ont au revers les mêmes caractères [comme supra] et la tête d’Apollon. Les unes et les autres ne sont pas du nombre des rares. La légende en question est en caractères africains tels qu’on en voit sur les médailles du roi Juba père. J’en ai aussi d’Auguste avec les mêmes caractères. Cependant je pense contre le sentiment commun des antiquaires, que c’est la tête de Julie qui est représentée sur mes médailles semblables à la votre. Elle y est figurée trop belle et trop jeune pour devoir être celle de Livie. Je ne puis vous rien dire de la médaille qui a au revers les caractères [deux lettres en «caractères phéniciens»] avec un bos cornupeta pour type, et ce n’est qu’en / [fol. 167v°] voyant celle qui a pour légende [trois caractères] avec une tête de vieillard d’un côté et deux épis de l’autre côté, que je pourrais peut-être en juger. Je connais des médailles de Syrie qui ont aussi deux épis, et il se peut bien que la légende en question soit en caractères phéniciens. J’ai lu avec grand plaisir l’ouvrage de Mr Mazzocchi sur les villes de la Grande Grèce. Vous avez raison d’en faire grand cas, et l’on ne peut en dire trop de bien. Je connois aussi la médaille IO. SAT. IO par l’ouvrage de Ficoroni, et par une dissertation française. Je vous remercie de l’offre que vous voulez bien me faire de la médaille de bronze de Ptolémée novus Dionysus, et je vous prie de vous dispenser de me l’envoyer. Je ne pourrais en faire aucun usage du moment que c’est une pièce contrefaite. Permettez-moi de vous en dire autant de la médaille de la Cyrénaïque qui avec les lettres KΥ. a pour type un cheval. J’en ai de pareilles. J’en ai aussi plusieurs d’Apollonie d’Epire, qui contiennent le mot ΛΥΣΩΝ. A l’égard de celle de Leucade, si au lieu de ΜΡ ΔΙΩΝ, l’on pouvoit lire ΚΛΑΥΔΙΩΝ, elle serait de la ville de Leucade en Syrie, laquelle avait pris le titre de Claudia en l’honneur de l’empereur Claude. Indépendemment des médailles impériales de cette ville, j’en ai deux autonomes qui ont pour légende ΛΕΥΚΑΔΙΩΝ ΚΛΑΥΔΙΑΩΝ. Il y a de plus sur l’une des deux le mot ΧΡΥΣΟΡΟΑΣ et le type du fleuve de ce nom qui passait à Leucade et à Damas. Si la médaille en question est de l’île Leucade, ΔΙΩΝ est vraisemblablement le nom d’un magistrat. C’était un nom assez commun que l’on trouve dans les / [fol. 168] inscriptions et sur plusieurs médailles. Presque toutes celles que j’ai de l’île Leucade contiennent différents noms de magistrats. J’en ai aussi deux sans légende qui ont pour type d’un côté un cheval, et de l’autre côté une espèce de roue, ou un bouclier ovale semblables à la vôtre. Sur une troisième toute pareille qui accompagne les deux autres, le bouclier est au milieu des lettres Κ.Υ. / Ρ.Α. ainsi il n’y a pas de doute que ces médailles ne soient de la Cyrénaïque. Leur fabrique le fait d’ailleurs assez connaître. Tout ce que je puis vous dire sur les médailles où l’on lit REMO, c’est qu’elles se trouvent communément en ce pays-ci, et qu’on ne peut guères les attribuer à une autre ville qu’à celle de Reims. J’en ai cependant deux autres attribuées à la même ville qui ont pour légende REMOS et qui sont d’une fabrique plus grossière. Il y a de plus sur l’une des deux le mot ATISIOS que l’on estime être le nom d’un chef gaulois. Vous me permettez s’il vous plaît, de vous observer que les lettres qui se voyent au dessous du lion et dans le champ des médailles de Marseille, ne forment point des époques. Dans la pluspart les trois lettres qui s’y trouvent, comme AèKH, ΔΖΛ, KHèè, ΚΡΑ, ΔΑ ne peuvent composer des nombres, disposées comme elles le sont. Si j’avais cru pouvoir tirer quelque chose de ces lettres, j’aurais peut-être rassemblé plusieurs centaines de ces médailles. Je n’en ai guère plus d’une quarantaine en argent, ayant cru qu’il était inutile d’en former une suite plus nombreuse qui ne fournirait aucune nouvelle connaissance. Cependant si vous voulez que je vous donne toutes les lettres qui se trouvent sur les miennes, je vous satisferai sur cela volontiers. Je sais que Mr / [fol. 168v°] de La Tour en a acheté une assez grande quantité que le feu abbé Boulle de Marseille avait ramassées. Elles sont des plus communes avec le type du lion, mais il y en a aussi d’argent de cette ville qui ne le sont pas tant, savoir celles qui ont avec la légende ΜΑΣΣΑ pour type un aigle, et au revers la tête de Pallas et celles qui ont d’un côté les seules lettres ΜΑ. dans deux des triangles d’un champ partagé en quatre parties. Ces médailles qui sont fort petites ont au revers la tête nue d’un jeune homme, de même que sur les médailles de la ville d’Avignon. Quelques antiquaires les ont attribuées à la Macédoine à cause des lettres ΜΑ, et du champ divisé en quatre parties par lesquelles ils ont cru qu’étaient désignées les quatre régions ou contrées dont la Macédoine était composée du temps qu’elle était sous la domination des Romains. Mais outre que ces sortes de médailles se trouvent en Provence, j’en ai une semblable qui avec la seule M. dans le champ, a la légende ΜΑΣΣΑ du côté de la tête. Le hazard m’en a procuré une autre encore plus singulière et qui est peut-être unique. Elle est toute pareille sans aucune lettre dans le champ, et a pour légende du côté de la tête ΛΑΚΥΔΩΝ. C’est le nom que portait anciennement le port de Marseille. On lit dans Mela Lacydon Massiliensium portus et in eo ipsa Massilia. Je suis mortiffié de ce que vous ne voulez pas accepter le médaillon d’or ΘΕΩΝ ΑΔΕΛΦΩΝ, mais puisque vous aimez mieux des médailles de villes, je ferai tout mon possible pour vous en procurer. Vous avez vu par la note que je vous ai envoyé de mes doubles en argent, ce qui m’en reste en ce métal. Je commencerai par vérifier celles que vous m’avez marqué avoir, et je mettrai les autres à part pour vous les faire passer avec / [fol. 169] ce que je pourrai en ramasser en bronze. S’il m’en reste de celles-ci c’est bien peu, parce qu’à mesure qu’il m’en vient je les troque, ou les donne à des particuliers qui en ont ici de petites suites. Je verrai si je pourrai en retirer d’eux quelques-unes qui puissent vous convenir. Il me fâche de n’avoir pas eu l’honneur d’être plutôt en relation avec vous. J’en avais formé autrefois une double suite assez bonne que j’ai cédée à Mr de Superville que vous devez avoir vu à Nîmes. Il choisit tout ce qu’il en voulut prendre dans l’envoi que j’en fis au P. Janin de Lyon, à qui je donnai tout ce qui en resta. Ce religieux ayant formé le dessein d’en faire avec ce résidu une suite pour son couvent, je lui en ai fait depuis plusieurs autres envois pour le mettre en état de l’augmenter. Mais je vous prie d’être persuadé qu’à présent je vous réserverai par préférence tout ce qui pourra m’en venir. » (Nîmes, Bibliothèque municipale, Ms. 150, f° 166-169).