-Lettre du 10 mars 1760 (de Paris) : « Je vous rends mille grâces, Monsieur, de la peine que vous avez prise de me marquer quelles sont les médailles rares, ou moins communes, qui se trouvent parmi les impériales ou les consulaires d’argent que possède un marchand de Montpellier et qu’il offre de vendre. Mais sans entrer dans la discussion du prix, je n’acheterais pas la partie entière d’impériales, quand même on les donnerait à bon marché, parce que j’ai toutes celles que vous me marquez avoir quelque mérite, et même la Julia Domna au revers aeternit. imperi, qui à la vérité n’est pas d’une qualité satisfaisante. Il y en a de pareilles qui sont contrefaites. Cette médaille vraiement antique et bien conservée se paye jusqu’à 50 francs. Quoique ma suite en ce genre ne passe guères trois mille, il me manque seulement en têtes la Tranquillina et le Pacatianus, et je n’achette plus que les revers que je n’ai point quand je trouve à les acquérir séparément. A l’égard des consulaires, parmi lesquelles vous avez aussi la bonté de me marquer celles qui sont hors du commun, il n’y en a d’aucune famille dont je n’aie déjà quelque médaille. Je n’en ai point seulement des familles Alliena, Aufidia, Cestia, Cornuficia, Horatia, Itia ou Labiena, Statia, Trebatia et Ventidia. Aussi est-ce celle de mes suites que je me suis le moins attaché à compléter. Elle n’est composée / [fol. 175v°] que d’environ mille médailles tant en or qu’en argent. Au surplus il se peut bien que j’aie prié Mr Gerouin de m’en acquérir quelques-unes de celles que j’ai déjà, et ce sont de celles que je ne me trouve pas avoir bien conservées, ou dont on est bien aise d’avoir plusieurs à cause des petites différences qui peuvent s’y trouver. Vous ne me dites point le prix que le possesseur en demande. L’usage ici par rapport aux consulaires d’argent, est quand on achète quelque collection entière, d’évaluer toutes les communes bien conservées sur le pied de vingt sols pièce au plus, et d’ajouter pour les rares et les moins communes, une plus-value à proportion de leur mérite. Je ne connais dans aucun cabinet les deux médailles de Lucullus dont vous avez agréable de me parler. Ce n’est pas qu’on doive accuser de fausseté absolument celles publiées par Goltzius. L’on trouve assez souvent des médailles publiées par lui qui étaient soupçonnées de fausseté, et qu’on reconnait cependant pour antiques. On peut lui reprocher seulement d’en avoir donné dont les légendes estaient mal lues, et d’autres dont les dessins lui avaient été envoyés par des imposteurs, mais je ne pense pas qu’il en ait forgé lui-même de son invention. Je connais les médailles fausses de Gordien et d’autres empereurs supposés de Samos et de Séleucie sur le Calycadnus, et ce n’est pas seulement dans le temps passé qu’il en a été fabriqué de cette sorte au Levant. Je sais qu’il y a actuellement à Bagdad dans la Mésopotamie des faussaires qui en font de toute sorte en or et en argent, et surtout de grands médaillons avec des têtes de rois, d’empereurs et d’hommes illustres. Il m’en a été acheté plusieurs à mon grand regret par des correspondants non connoisseurs, qui ne me les enverront qu’à la paix quand la navigation sera devenue libre. C’est une peste pour les lettres que ces faussaires ; il devrait bien y avoir une loi qui les punit, comme il y en a contre les faux-monnayeurs. Mr de Superville n’était pas, suivant ce que vous me marquez, plus difficile ni plus connaisseur que le sont les Allemands, qui par ce qu’il m’en est revenu, ont touts leurs cabinets remplis de pièces fausses. Il m’a été dit autrefois que Mr l’abbé de Rothelin avait acheté une partie des médailles de Mr Le Bret, mais ce que je sais plus certainement, c’est que ses médaillons et médailles de grand bronze achetés ensuite / [fol. 176] par feu Mr de Beauveau sont passez dans le cabinet du Roy. Sa belle et grande suite de médailles impériales d’argent, et de quinaires, et ses médaillons d’argent d’empereurs et de rois, ont aussi passé dans le cabinet du Roi d’Espagne. C’est dans le mien que sont à présent celles de ses médailles d’or qu’il avait cédées à Mr de Beauveau. Je ne sais point ce qu’est devenue la Caesonia de Mr Le Bret, mais elle est sûrement fausse. Vos observations sur la double époque de ma médaille d’Auguste frappée à Ascalon sont justes. Je trouve seulement une petite erreur en portant à l’an 752 de Rome l’époque BP. 102. Il est vrai que joignant 102 à l’ancienne ère de la ville d’Ascalon fixée à l’an 650 de Rome, le total fait 752, mais en fait de date d’années, ou d’époque, quand au nombre d’années de la date l’on ajoute un autre nombre d’années, il faut en retrancher une du total, parce que l’année de la date du premier nombre se trouve aussi dans le second nombre. Ainsi les deux nombres en question ne font réellement que 751. Au surplus, en <défalquant> comme vous avez fait <du nombre 102 de la première époque, le nombre 56 de la seconde époque, la ville d’Ascalon> doit avoir eu une autre ère de l’an de Rome <697 suivant la façon de calculer que je viens de vous marquer>. Il est assez extraordinaire que l’on ne trouve aucune date procédant de cette nouvelle ère sur toutes les autres médailles d’Ascalon soit autonomes, soit impériales qui sont en grand nombre. Vous me pardonnerez, s’il vous plaît, ce barbouillage [ce passage est effectivement très raturé]. J’ai commencé la description abbrégée de mes médailles de rois avec des remarques pour vous en donner connoissance, comme je vous l’ai promis, et j’ai déjà bien avancé celle des rois qui ont régné en Europe. Il y a longtemps que je différais d’entreprendre cet ouvrage que j’ai toujours remis dans l’espérance de rendre mes suites plus complètes, à quoi je ne parviendrai jamais, quoique je n’épargne rien pour cela. Quelqu’imparfait par conséquent que doive être cet ouvrage, il sera bon pour moi de l’avoir fait, et je vous aurai l’obligation d’avoir ramassé et mis dans une espèce d’ordre les petites notes que j’avais éparses. Je les étends un peu, et même quelque fois trop sans doute, en y ajoutant les idées et les réflexions que la matière me fournit à mesure que j’écris. Vous jugerez par là que ce n’est pas un ouvrage limé à beaucoup près, et je vous prie par avance de ne le regarder que comme un essai, que vous aurez agréable de me renvoyer s’il vous plaît, après l’avoir leu, en me marquant franchement ce que vous en penserez et les observations que vous aurez occasion d’y / [fol. 176v°] faire. Quelqu’informe qu’il soit, je serais fâché de le perdre, d’autant plus que je supprime, comme devenues inutiles, les petites notes que j’avais de côté et d’autre, à mesure que j’en ai fait usage. Je vous remercie du médaillon de Larissa que vous m’offrez. J’en ai plusieurs semblables. Je regrette toujours celui que le duc de Noia m’a pris, autant pour type une jument avec son poulain. Il veut le donner comme une médaille de la ville de Lavinum, malgré tout ce que je lui ai pu dire pour le désabuser. J’ai mis votre médaille de Scotuffa à sa place à côté d’une autre que j’ai en bronze, laquelle a d’un côté la légende entière ΣΚΟΤΟΥΣΣΑΙΩΝ avec une grande grappe de raisin pour type, et de l’autre côté une tête en face à longs cheveux tout à fait semblable à celle que l’on voit sur des médaillons d’argent de Larissa. Le parti que j’ai pris de ranger toutes mes médailles de villes par pays et provinces, au lieu que dans tous les cabinets, elles sont rangées par ordre alphabétique, me sert beaucoup à reconnaître d’où sont celles qui n’ont point de légendes, celles qui n’ont que des lettres ou demi-légendes, et celles qui contiennent des noms de villes dont il y a plusieurs de même nom en différentes provinces. Vous pouvez mettre parmi vos médailles de Camarina, ville de Sicile, celle d’argent qui sans légende a d’un côté un cygne en relief, et au revers le champ creux. J’en ai plusieurs pareilles. Je vous ai rassemblé tout ce quej’ai pu trouver de médailles de rois, dont je joindrai la note à cette lettre. Je vais les mettre entre deux cartons dans un paquet qui vous parviendra ensuite sous le contreseing de Mr Bouret. Vous pourrez aussi lui adresser celles que vous aurez à m’envoyer et je mettrai aussi dans cette lettre l’adresse convenue dont vous ferez usage quand vous le voudrez, me remettant à vous de vous servir également de cette voie, et de celle de Mr Jaunel. Vous trouverez avec les médailles de rois un médaillon de Maronée autre que celui que vous m’avez renvoyé. Quoique celui-ci ne me laisse pas le moindre scrupule, l’autre ne vous en causera point assurement. Je suis toujours étonné de voir par ce que vous continuez de me marquer, qu’il n’y ait que des médailles communes dans votre province. Mais je ne doute point que par vos relations en Italie et ailleurs, il ne vous soit plus facile qu’à personne d’en avoir d’autres, particulièrement de celles dont on ne fait pas cas, savoir des grecques, et d’autres soit / [fol. 177] inconnues, soit difficiles à déchiffrer. Je ne néglige pas la recherche de ces dernières par la raison que je crois vous avoir déjà marquée. Je ne comprends pas non plus que vous n’ayiez point de médailles d’autres villes de votre province que de celle de Nîmes. J’en ai une seulement de Béziers, de deux des peuples appelez Volcae arelomici. Celles de Nîmes que je possède consistent seulement en une petite d’argent ayant NEM. COL. au milieu d’une couronne, et en deux de bronze ayant la même légende et pour type une femme de bout qui présent une patère à deux serpents. Si vous en aviez de différentes, vous me feriez plaisir de me le marquer. Je ne vous parle point de celles qui représentent les têtes d’Auguste et d’Agrippa que l’on range parmi les impériales. Elles sont des plus communes en moyen bronze. J’en ai bien une assez épaisse pour être réputée de grand bronze, mais qui n’en a pas tout à fait la largeur. Je voudrais pouvoir en trouver une plus grande. » (Nîmes, Bibliothèque municipale, Ms. 150, f° 175-177).