-Lettre du 6 juin 1760 (de Paris) : « La compagnie que j’avais chez moi, Monsieur, et qui m’avait empêché de répondre à toute votre dernière lettre, m’a quitté et me laisse le temps de satisfaire à ce que vous m’avez demandé. Le dessin que je vous ai envoyé de la médaille d’Eucratide est des premières épreuves. Je m’apperçus alors que le graveur avait oublié le trait qui doit former un A dans le monogramme et je le fis reformer dans la planche. Quoique cette omission paraisse une minutie, elle ne laisse pas cependant de mériter attention, parce que le monogramme en question désigne ordonairement que les médailles qui le contiennent ont été frappées dans des villes du nom d’Apollonie. Celle sur laquelle on lit… ΜΑΤΟΥ ΑΣΠΟΥΡΓΟΥ est de Saceromates I. roi du Bosphore. Mr Cary l’a publiée et expliquée dans son histoire des rois du Bosphore. C’est Mr le comte de Caylus qui a fait graver les médailles d’Athènes représentant l’acropole, et des Caryatides, pour les insérer dans ses ouvrages. Je n’ai point connaissance qu’il en ait été publié de pareilles. Vous me ferez plaisir de m’apprendre où vous les avez vues. Mr de Caylus qui a reçu la quille de brique, m’a chargé de vous bien assurer de sa reconnaissance, et de vous marquer de sa part qu’il souhaiterait fort pouvoir vous en donner des preuves par des effets. Si vous aviez besoin de quelque chose qui peut dépendre de lui, il serait fort aise de vous la procurer. / [fol. 194v°] Les carmes de Montpellier ne trouveront pas aisément à se défaire des médailles du P. Elisée, surtout s’ils les tiennent à un haut prix comme vous me le marquez. Le temps présent n’est pas favorable pour ces sortes de vente. Il y a ici deux grandes suites en or, celle de Mr de Clèves, et celle de Mr du Vau, pour lesquelles les propriétaires ne trouvent point d’acquéreurs. Je sais ce qui manque à ma suite des médailles des rois d’Egypte, et vous en avez, à mon avis, une trop grande opinion. Si Dieu me donne des jours, je tascherai de la rendre plus complète. Il se peut bien que Vaillant n’ait pas été fondé à assurer que Bérénice était représentée sous la figure d’Isis dans les médailles qu’il a rapportées, mais Isis n’était pas toujours représentée avec le lotus sur la tête. Nous avons beaucoup de médailles et de figures de bronze qui la représentent sans cette fleur. Le grand médaillon d’or avec la légende ΘΕΩΝ ΑΔΕΛΦΩΝ était du temps de Vaillant regardé comme une pièce des plus rares, mais à présent il s’en trouve quatre dans cette ville. Le mien m’est venu d’Egypte, ainsi que les médaillons en même métal de Ptolémée I, d’Arsinoé et de Bérénice. Il semble que vous regrettiez celui de moyen volume, quoique mal conservé, dont Mr Boudon s’est défait, et cependant vous n’avez pas voulu accepter le pareil d’une belle conservation que j’ai eu l’honneur de vous offrir. Je vous l’offre encore de bon cœur, et si vous le désirez, je vous l’enverrai. Dans les feuilles que vous m’avez renvoyées, vous avez du voir une médaille semblable à celle que vous me marquez avoir et représentans une espèce de cheval marin avec la légende ΒΑΣΙ ΠΤΟΛΕ et le monogramme [ΜΡ], mais dans la mienne le monogramme est [ΜΓ], et m’est venu de Burgazy dans la Cyrénaïque. / [fol. 195]. Vous m’apprenez en m’envoyant les deux planches de médailles qui étaient jointes à votre lettre, et dont je vous remercie, que c’est d’après les dessins que vous en aviez faits, qu’elles ont été gravées, et je ne suis plus étonné en les voyant que vous ayiez conservé du goût pour les médailles en caractères exotiques. J’avais le même goût dans ma jeunesse ; j’avais alors appris un peu d’hébreu, de syriaque et d’arabe, et j’écrivais même avec assez d’aisance dans les caractères de ces langues. Mais employé ensuite pendant près de quarante ans soit auprès des ministres de la marine, soit dans les ports, je les ai perdu de vue au point de les avoir oubliées presque entièrement, et ce n’est que depuis ma retraite qu’à la vue des médailles contenant ces sortes de caractères, je me suis rappellé les premières notions que j’en avais eues. Quand je reçus la lettre par laquelle vous me témoignez le désir que vous aviez que je vous donnasse connoissance de toutes celles que j’ai en caractères exotiques, j’en étais resté à la description des Samaritaines, et j’hésitais à entreprendre celle des Phéniciennes, Puniques et autres par la peine que cause la lecture de si petits caractères qui fatigue extrêmement les yeux. Pour vous satisfaire, je me suis déterminé à les décrire du mieux qu’il m’a été possible, et j’ai même étendu mes remarques sur cette partie plus que sur les précédentes. Le même motif m’a engagé à faire aussi quelques additions aux médailles samaritaines et espagnoles, dont je souhaite que vous soyiez content. La lecture que j’ai faite des ouvrages du docteur Swinton à l’occasion de la description de mes médailles phéniciennes, m’a fourni celle de parler à Mr l’abbé Barthélemy de ce qui lui est ingenté dans le dernier de ces ouvrages. Il est venu ensuite vérifier plusieurs de mes médailles, sur lesquelles je lui ai dit ce que j’en pensais, et je le vois disposé non seulement à répondre à Mr Swinton, mais encore à en publier plusieurs que je lui ai prêtées pour les faire dessiner et graver. Je l’ai fort exhorté / [fol. 195v°] à faire sortir cette partie numismatique des ténèbres où elle a été ensevelie jusqu’à présent. Il est jeune et en état d’y réussir, s’il veut s’y appliquer. Aussitôt que l’ouvrage auquel il travaille aura paru, je vous l’enverrai. En attendant, j’ai cru ne devoir point remettre à vous faire passer mes dernières feuilles, que j’eusse reçu les précédentes que je vous ai envoyées. Vous pourrez être bien aise de les voir les unes et les autres ensemble, y ayant des articles relatifs surtout par rapport aux médailles phéniciennes. J’aurais eu beaucoup de choses à ajouter touchant ces médailles, mais je n’ai pas osé hazarder des conjectures que je n’ai formées que sur la simple inspection, concernant particulièrement les lettres isolées qui sont dans le champ, et que je me persuade être les initiales du nom des villes où elles ont esté frappées, telles que pour les lettres ΥΟ dans celle d’or d’Alexandre. Les caractères phéniciens, et les traits qui doivent former des dates sur les médaillons et médailles d’argent des anciens rois de Perse, peuvent aussi fournir matière à des dissertations, et j’imagine qu’en recueillant tout ce qui se trouve épars dans les écrits des anciens sur l’invasion des Perses en Syrie et en Chypre, l’on pourrait à l’aide de ces médailles et des inscriptions de Citium former un morceau d’histoire curieux et intéressant, dont il me parait que l’on n’a qu’une connaissance assez confuse. C’est assez à mon âge et avec mes courtes lumières, de proposer mes idées, et ce n’est pas sans répugnance que j’ai ajouté les notes que vous avez désirées à la description des médailles. Je crains bien que vous n’y trouviez des bévues et souvent des répétitions assez ordinaires quand on écrit, comme je fais, sans plan formé et que les objets me présentent. Je vous demande en grâce encore une fois que ces paperasses ne soient que pour vous seul, et vous prie de me les renvoyer le plutôt que vous pourrez. » (Nîmes, Bibliothèque municipale, Ms. 150, f° 194-197; Rambach 2023, p. 26, n° 32).