Lettre du 18 mai 1728 (de Dijon) : « Je me flatte que je pourrais pousser mes recherches assez loin pour qu’elles puissent mériter l’attention des personnes qui ont un goût véritable pour la haute littérature. Votre explication de la légende de la médaille frappée par la colonie de Nîmes est très ingénieuse. J’avais déjà remarqué qu’elle ne pouvait guère se rapporter à Marc Aurèle et Luce Vère comme le commun des antiquaires l’avait cru. 1° parce que des deux têtes représentées, l’une est couronnée de lauriers et l’autre ne l’est pas, ce qui marque une différence de dignité qui n’a pas lieu /[f° 155 v°] à l’égard de Marc Aurèle et Luce Vère puisqu’ils étaient tous les deux Augustes et qu’ils gouvernaient l’empire ex-aequo, comme l’a remarqué Capitolin in Vit. Marc. 2° si on avait voulu mettre sur la médaille les têtes des deux empereurs, il aurait fallu les désigner dans la légende par IMPP et non pas par IMP simplement qui n’en désigne qu’un seul car tant dans les médailles que dans les inscriptions il était d’usage que l’on marquât le nombre des empereurs par le nombre des P qu’on ajoutait à IM et des augustes par les G ajoutés à la syllabe AV qui commençait ce nom. C’est une règle si commune parmi les antiquaires que ce serait peine perdue d’en rapporter des preuves. Enfin, rien n’est si ridicule que de s’imaginer que c’est Drusus et Tibère qui sont représentés dans le champ de cette médaille : en quel temps veut-on que qu’elle ait été frappée pour eux ? Ils n’ont pu être appelé DIVI. F. divi filii qu’après la mort et l’apothéose d’Auguste : or Drusus était mort dès l’an de Rome 744, vingt-tois ans avant Auguste. Il me paraît de plus que le tête d’Auguste dans le type que vous m’envoyez ressemble parfaitement à celle qui parait couronnée de lauriers dans la médaille commune ; et quoique l’une et l’autre n’aient pas une ressemblance parfaite avec les figures du même prince qui se voient sur ces autres médailles, cela engage tout au plus à croire que la colonnie de Nîmes avait son coin particulier. Voilà, Monsieur, les raisons qui m’ont paru propres à appuyer votre sentiment. Venons aux difficultés. Il n’y en a qu’une qui puisse être solide, mais elle est de telle nature qu’elle a arrêté jusqu’à nos jours les savants les plus versés dans l’antiquité et dans l’histoire. Cette médaille ayant été frappée selon vous à l’occasion de la colonie qu’Agrippa conduit à Nîmes par ordre d’Auguste à son retour d’Egypte, il faudrait naturellement en rapporter l’époque à l’an de Rome 724 pendant lequel Auguste revint à Rome et triompha de la Dalmatie, de la Macédoine et de l’Egypte. Avançons même la date si vous voulez, elle ne peut jamais parvenir au plus que l’an 741 auquel Agrippa mourut. Cela supposé, il faut que vous suiviez le sentiment de Goltzius qui soutient animadverssin fast. qu’Auguste reçut le nom de Pater Patria dès son cinquième consulat, ce qu’il essaye de prouver par des médailles qu’on ne trouve que chez lui et par quelques inscriptions. Lazius a été du même avis, leurs preuves sont rapportées dans une lettre écrite à Th. Reinesius par Christoph. Ad. Rupert qui est /[f° 156 r°] la 28e du recueil imp. à Leipzig 1660 p. m. 132 et seqq. D’un autre côté Onuphre comment in 2um fast. et triumph. soutient qu’Auguste ne reçut le nom de pater patria que l’an de Rome 757 sous le consulat de L. Valerius Messala et de Cn. Cornelius Cinna, citant pour lui Suetone in Aug. et Ovid. Fast, mais voici qui augmente la difficulté. C’est une inscription rapportée par Gruter, p. 136 n° 2.
NON IN CONCORDIAE
IN ARCE FERIAE EX
S.C. QVOD EO DIE
IMPERATOR CAESAR
AVGVSTVS PONTIFEX
MAXIMVS TRIB. POTEST
XXI.COS.XIII. A SENATV
POPVLOQVE ROMANO PATER
PATRIAE APPELATVS
Cette inscription est très favorable à Onuphre, puisqu’elle nous apprend qu’Auguste ne fut appellé père de la patrie qu’après son 13e consulat qui revient à l’an de Rome 742. Il est vrai que les années de sa puissance tribunicienne y sont corrompues puisque l’année 21 de cette puissance précède de deux ans son 13e consulat. Aussi Caroli. Neapolit. Comm. in Ovid. Fast 2.121, lit il XXVIII à la septième ligne. Un autre lambeau de marbres capitolins rapportés par Lazius specimen comment. Vetust. Numism. à l’an 754 dit aussi que ce fut cette même année qu’Auguste reçut le nom de père de la patrie.
EODEM ANNO ANTE DIEM NON
FEB.IMP.CAES.DIVI.F.AV
GVST. PATER PATRIAE AP
PELLATVS EST
Nous voyons par ce dernier fragment que la proclamation de ce nouveau titre d’honneur se fit le jour des nones de février, à quoi Ovide s’accorde. Ainsi dans sa première inscription, il faut bien se garder de croire que NON N doive s’expliquer par nonis novembribus, mais au contraire par nonis nefastis. Tout ce que je viens de vous dire vous fera sentir qu’il est assez difficile de décider en quelle année nous devons croire que le titre de Pater Patria a été donné à Auguste et si l’opinion d’Onuphre était vraie, il faudrait chercher une autre explication à votre médaille, parce quil ne l’aurait reçu que 16 ans après la mort d’Agrippa. Je n’ose me déterminer sur cette grande question quand j’aurai moins d’autres occupations, je pourrais revenir la-dessus et tâcher de débrouiller ce chaos. Je vous conseille cependant de consulter sur tout cela Jacob Perizon Animadvers. Histor. pag. 313 et seqq. et Jean Masson Horat. Vit. p. 241., ce dernier surtout traite très amplement de la première inscription. Lorsque vous aurez bien vû tout ce qui peut se dire de part et d’autre, il vous sera aisé de vous déterminer et peut-être même /[f° 156 v°] de concilier ces contradictions apparentes. Vous me ferez grand plaisir de me faire part de votre médaille de Vespasien. J’ai consulté Gruter sur la page 997 n. 17 de la 1ère édition, l’inscription que vous me marquez y est exactement représentée de la même façon que vous me la rapportez dans vôtre lettre. J’ai été ensuite à l’index des notes et observations où j’ai bien trouvé O.Q.N. comme à la tête de l’inscription, mais sans explication quelconque, ce qui m’étonne fort puisque c’est le célèbre Jos. Scaliger qui a fait les vingt-quatre index qui sont à la fin de ce trésor d’inscriptions. Les corrigenda et animadvertenda qui tiennent lieu de notes à cet ouvrage ne disent rien sur cet endroit. Gruter s’en est encore fait honneur, quoique la plus grande partie soit due aux soins de Scaliger, au demeurant c’est très peu de chose et toutes les remarques ne roulent que sur des corrections grammaticales du texte de quelques inscriptions, avec quelques petites illustrations qui méritent à peine qu’on s’y arrête, de sorte que je serai d’autant plus charmé d’apprendre comment vous expliquez ces trois lettres, que j’ignore qu’on vous ait prévenu jusqu’ici. On m’écrit hier de Lyon que l’on y a déterré une espèce d’urne sépulchrale assez curieuse, sur la face et les revers de laquelle Antonin Pie parait représenté avec ses attribut. M. Laisné, l’un des académiciens de cette ville-là lut dans la séance publique une dissertation sur ce monument. Je compte que je pourrai le voir à mon retour c’est-à-dire à la fin des fêtes et je vous dirai ce qui en est. Je voudrais qu’on put ramasser en un corps toutes les petites dissertations qui n’ont paru qu’en brochures, dans des journaux sur ces inscriptions et les médailles, sans quoi il est impossible de tout voir. Nous avons résolu M. le Président Bouhier et moi de rassembler toutes les inscriptions qui regardent Hercule et je me suis engagé outre cela à faire un vingt cinquième index sur Gruter, Reinesius et Fabretti, comme je suis le plus jeune et le moins habile, il est juste que je monte les gardes des fatigues. M. Bazin vous assure de ses obéissances très humbles, il part pour la campagne. J’ai l’honneur d’être … » (Nîmes, Bibliothèque municipale, Ms. 139, f° 155-156).