Lettre du 31 mars 1627 (d’Aix-en-Provence, à Rome), p. 511-518: "Quant aux médailles, celle que vous appellez du talc est bien de mon goût, et je n’y plains nullement l’argent qui y a été employé, mais je l’estimerais davantage si vous n’y eussiez point touché du tout, pour aider comme vous avez fait les lettres de la fin de quelques mots. J’eusse beaucoup mieux aimé avoir la peine de les deviner moi-même, ou de les suppléer par les moindres vestiges, que d’avoir enfoncé le champ de la médaille pour y épargner du relief aux dites lettres. Je l’estimerais le double sans cela. Mais toujours la tiens-je à singulière faveur et ne vous dis cela, que pour vous servir d’avis à l’avenir que j’estime les medaglie vergine beaucoup plus sans comparaison que celles qui sont tant soit peu aidées, sous prétexte de les nettoyer. Car je les voudrais, si besoin était, faire nettoyer moi-même en ma présence pour ne pas laisser avancer le stecco, ou la pietra verde plus avant que ce que je permettrais sans y laisser toucher par burin pour quelque occasion que ce peut être. Le médaillon que vous dites d’argent d’Alexandre, est bien une belle pièce à mon avis. Plusieurs de mes amis qui croient s’y connaître veulent opiniâtrer qu’il soit moderne et moulé, mais je crois qu’ils se trompent évidemment et que la pièce est antique. Il est vrai qu’elle a été fort mal traitée non seulement du temps, mais possible de l’artifice des hommes, et j’ai grande peine à me persuader qu’elle ait jamais été faite pour une pièce d’argent. Car si bien en ce temps là déjà l’argent était r’abbayddé (sic !), toutefois les monnaies qui s’en trouvent, non seulement des ordinaires romaines, mais des grecques plus grosses au triple et quadruple ne sont pas de si mauvaise matière. Voire je doute s’il y a rien d’argent qui soit allié avec le corps de la médaille, car l’ayant fait piquer d’un coup de poinçon sur le bord, il me semble que le dedans est plus rougeâtre ou jaunâtre que blanc, et les orfèvres ne tiennent pas qu’il y ait de l’argent franc ; ainsi plutôt quelque blanchiment ou teinture. Une chose ai-je bien verifiée indubitablement (et c’est ce qui seul peut garantir la pièce antique), c’est qu’elle a perdu et s’est dépouillée d’une superficie de tous côtés de l’épaisseur de plus qu’une feuille de papier, soit qu’on l’ait mise dans quelque eau forte ou dans quelque vinaigre, ou bien qu’elle se soit rencontrée dans quelque terrain corrosif, comme il n’en manque pas autour de Rome, et pour preuve de cela, il est resté quelque fragments de la dite peau ou superficie, tant du côté de la tête, au bas du chinon du col, et dans le champ, entre les liens de la couronne, que du côté du revers dans le champ entre les figures, et entre quelques lettres de l’inscription, que au plus bas sous les pieds des dites figures. Ce reconaissant apparemment que ce qui reste de ladite peau retient encore quelques vestiges du poliment primitif que pouvait avoir laissé le coin, car tout le reste qui est pellé ou dépouillé est demeuré si grenellé, qu’il n’y a vestige quelconque de cognure, ainsi plutôt imite en quelque façon le grain de la moullure et du sable, comme il le faudrait juger tel, sans ce qui reste de la primitive peau où le coin avait imprimé ses marques. Et qui plus est, tous les vestiges de ladite peau sont si jaunes, que je tiens que la pièce a été dorée, soit par les anciens ou par les modernes, ce qui peut bien avoir contribué à lui faire perdre sa peau, si l’eau avec quoi y a été appliqué l’or était trop forte et trop corrosive, et possible qu’avant que la dorer, l’a-t-on voulu blanchir par quelque teinture, possible à nous inconnue, comme il est certain que les anciens en avaient qui faisaient du cuivre blanc sans qu’il eût aucune qualité d’argent, ni d’étain, et le blanc ou teinture ne laissait pas de pénétrer bien avant dans le corps du métal, mieux que font nos orfèvres quand ils argentent. Ce qui me confirme en cette opinion, que la pièce fut antique, est que le bord semble fort naturel et tel que le peut avoir laissé, dans son air, la force de la cognure agissant sur le plat. Mais cela peut se contrefaire, de sorte que cela seul ne m’eût pas emporté à l’affirmative. Tant y a que vous voyez que je fais bien ce que vous avez voulu, c’est-à-dire je vous parle bien avec grande liberté, et Dieu sait si cette pièce avait jamais été examinée si exactement que cela. Je serai bien aise que vous m’en disiez votre avis avec la même liberté. Et surtout, je vous prie, ne vous imaginez pas que je sois porté en cela d’aucun dessein de vous déprimer votre marchandise, car je vous déclare que je n’y plains nullement le prix que vous en avez fait bailler de cinq écus, attendu que le seul plaisir que j’ai pris de l’éplucher, et d’y trouver ces fondements, et en garantir l’antiquité, contre l’avis de nos antiquaires, vaut plus que les cinq écus et le double, et puis au bout du compte c’est toujours une belle médaille, et qui peut tenir rang entre les grandes et les belles, car le relief et la manière en est noble. Mais de le tenir pour médaillon d’argent, c’est ce que je n’oserais pas faire, vu que pour médaillon, la grandeur n’est pas jusqu’à ce point qu’il faudrait pour excéder la grandeur des médailles grandes. Et pour la matière d’argent, outre que les orfèvres n’en sont pas d’accord, et qu’il n’a comparaison quelconque avec toutes les autres pièces d’argent du même prince, non seulement des latines, mais des grecques, je n’y trouve d’ailleurs aucun rapport avec la proportion que devrait avoir avec les autres monnaies courantes de ce temps là à peu près, car il faudrait que ce fut ou le double des grecques les plus grosses, ou le quadruple des petites, ou bien redoubler ce quadruple des latines, mais il n’y a rien d’approchant à cette proportion de poids, non plus qu’à celle de l’aloi, ni à la forme. Tellement qu’il faut conclure que ç’a été une belle grande médaille de cuivre, teinte et dorée, pour tenir rang possible au lieu d’une pierre précieuse, comme on faisait anciennement de beaucoup d’autres, dont j’en ai quelques-unes et comme étaient tenues ces petites médaillettes de cuivre enchainées bien que grossièrement que vous me monstrâtes à Paris, et que je prendrais encore volontiers, si vous ne vous en êtes défait depuis lors, comme il pourrait être, puisque vous me montâtes en même temps votre astragale d’améthyste que vous me dites maintenant avoir encore, et lequel j’achèterais pareillement volontiers si le prix en est modéré, pour le joindre à trois autres que j’ai l’un de corniole, l’autre d’agathe, et le troisiesme de cristal antiques, où celui d’améthyste ne serait pas mal apparié. Venant donc aux autres médailles que vous m’avez envoyées, et spécialement les grecques, je vous dirai que quand il y a quelque chose à apprendre je prends plaisir d’en avoir, et bien que je ne veuille pas négliger jusqu’aux plus mal conservées, faut qu’il y reste quelques vestiges capables de donner quelque lumière, si est-ce que quand les inscriptions ne se peuvent commodémment lire, j’en tiens le prix grandement diminué et r’avallé de tout quasi en tout. Et quand les lettres sont retouchées ou reparées avec le burin ou autrement, tant s’en faut que j’en fasse cas, qu’au contraire elles me font mal à vue, attendu que la plupart du temps ceux qui se mêlent de ce métier, ne pouvant pas savoir le fonds de l’histoire et de l’antiquité, prennent quasi toujours des équivoques et font des béues intolérables, par exemple, vous avez fait quelque cas d’une médaille à deux têtes que vous dites être de Vespasien et de Tite, parce qu’il y a un fleuve au revers. Et ce qui fait que je ne la prise pas tant est qu’on la reparée en sorte qu’on y a refait touts les deux profils des visages, et au lieu d’un Titus au côté où vous croyez qu’il sera on en a fait quasi un Domitien, ou plutôt on a corrompu le visage de Domitien pour en faire un Titus, et au lieu d’un Titus qui y pouvait être de l’autre part, on en fait un Vespasian, et a-t-on rebarbouillé encore les lettres en sorte qu’on ne saurait plus lier les vestiges qui y restent par aucunes conjectures de mise sans être dementi par les faux coups de burin, sans lesquels possible y lisrais-je le nom de Tite d’un côté, et celui de Domitien de l’autre. Et au revers, si le nom du fleuve ou de la ville se pouvaient lire, j’en ferais estime, mais ne se pouvant déchiffrer, c’est un déplaisir de voir un fleuve sans savoir dire qu’il était. Votre Geta me plaît un peu davantage bien qu’il soit effacé, attendu que l’art n’y a rien altéré, que la conjecture me demeure libre pour conjecturer hardiment ce qui y pouvait être, et y en rechercher quelques vestiges. Mais à la difference du prix que vous y mettez, en égard aux autres, je vois que vous avez plus consideré la tête que le revers, à cause que Geta Narba n’est pas si commun, mais c’est ce que je ne considère guère pour ma curiosité, car je n’y regarde guère que l’histoire, et ce qui y peut servir. C’est pourquoi je ne m’amuse pas à faire des suites imperiales de médailles grecques, ni de colonies, ainsi je les range selon l’histoire. Pour le regard de Marc Aurèle, celui qui en a nettoyé la tête a été bien discret à mon gré, et n’y a rien gâté, mais au revers, parce qu’il ne le savait pas deviner, encore y a-t-il corrompu quelque chose et des lettres et de la figure, ce qui fait que je ne la puis priser à l’égal de ce que je ferais, s’il n’y eût pas touché si avant. Quant à celle de Commode, elle a été si mal traitée que c’est pitié et n’y est resté guère de vestiges par lesquels on puisse distinguer quelle sorte de couronne c’était, car les rayons que vous y trouvez sont bien clairsemés, et bien mal rangés, pour en tirer grande instruction, et qui pis est l’inscription réduite en bien mauvais état pour la lire, comme il faudrait ; tant y a que vous m’avez fait plaisir de me l’envoyer, en m’en feriez encore davantage si vous m’envoyiez celle que vous dites avoir de l’Hadrien avec une couronne, afin d’essayer si par l’une nous pourrions aider ou suppléer les défauts de l’autre, ou pour le moins qu’il vous plût nous en envoyer une empreinte de plomb, et si aviez l’empreinte de celle que dites avoir vu d’Auguste avec une semblable couronne, je la verrais aussi fort volontiers, pour avoir de quoi appuyer les conjectures qui s’y pourraient faire, lesquelles vont à vauleau quand on n’a qu’une seule pièce si mal conservée et si corrompue de l’antiquité, où l’on peut quelquefois imaginer d’aussi différentes figures sur un même corps que dans les nues. J’ai vu volontiers cette pièce barbare bien que les lettres soient inconnues, et de cette sorte-là, j’en prendrai volontiers tant qu’il s’en trouvera à vendre. Cette médaille grecque avec l’inscription ΔΗΜΟC, est de celles qui tombent dans ma curiosité, mais je plains la perte de l’inscription du revers, où il a été touché peu, mais encore y a-t-il porté quelque préjudice. Ces ouvriers préparateurs de médailles ne devraient jamais toucher aux grecques, qui leur sont moins familières que les latines. Reste encore la Salonine où il n’y a rien d’extraordinaire pour une médaille grecque, et si bien elle est grossière cela n’est pas mal compatible avec son siècle. Touchant la médaille du Labarum que vous aviez mise dans votre lettre, j’en avais une avec le même Labarum et une Victoire au revers, de sorte que la votre ne s’accouple pas mal avec la mienne. J’avais pareillement une de cs médaillettes avec le sceptre d’un côté, et la couronne et lettres de l’autre, outre la semblable que vous m’aviez envoyé l’année précédente, et pense avoir une centaine de petites médailles latines de cuivre battues depuis Auguste jusqu’à Hadrien, dont la plupart appartiennent aux Empereurs, et sont un peu plus malaisées à déchiffrer que les ordinaires des autres grandeurs qu’on appelle petites, mezzanes et grandes. Et souvent si bien les noms des empereurs y sont, leurs images n’y sont pas étant ains des Dieux et des Déesses, ou des autres choses appartenantes aux déités. Il y en a parmi quelques-unes, comme ces votres deux, et une douzaine d’autres sortes, bien malaisées à déchiffrer. Je ne les ai jamais bien exactement examinées. Mais en rangeant, s’il plait à Dieu, mes antiques à cet été, et rassemblant celles qui doivent être ensemble, nous verrons si nous en pourrions tirer quelque fruit et quelque sens. Pour les médaillettes de plomb, j’en avais apporté de Rome une cinquantaine où il y en a de plus ou moins extravagantes, mais je ne les ai pas pu trouver maintenant à ma main, pour les comparer avec les votres. Je voudrais avoir vu les 150 que vous dites avoir recueillies, pour chercher si de tout cela et de toutes les miennes, il ne se tirerait point quelque lumière, pour juger à quel usage elles peuvent avoir été faites, car l’extravagance y est si grande en plusieurs, qu’il est fort malaisé de les réduire sous aucune règle. Toutefois il ne faut désespérer de rien, et je vous remercie bien fort de la douzaine que vous m’avez envoyée maintenant, dont je ne vous dirai pas mon avis que je n’ai retrouvé le fagot des miennes, entre lesquelles j’en avais mêmes aucune aussi larges que les medailles ordinaires, mezzanes et plus. J’oubliais de vous dire, à propos de ces petites romaines de cuivre, que si vous en rencontrez une bien nette, de celles qu’Ant. Augustinus a mises dans son premier Dialogue où il y a deux brasselets et un laurier, je l’achèterai volontiers, à prix modéré, car celles que j’ai sont un peu mal conservées. J’en ai une avec l’inscription METAR. DELM. mais il n’y a point de nom d'empereur et me ferez plaisir de m’envoyer empreinte des votres deux où est le MET. NOR. et le METAR. DELM. avec les noms de Trajan et d’Hadrien, si ce n'est que vous veuilliez [vous] défaire à prix médiocre des originaux, auquel cas je les achèterais. Sinon je me contenterai des empreintes. Pour en venir à vos colonies, j’eusse bien mieux aimé voir un rolle pièce par pièce, avec les inscriptions desdites colonies, pour mieux juger de ce que peut importer le recueil, car je ne considère pas la suite des images des empereurs qui y sont représentés, comme ce qui est de l’histoire particulière desdites colonies. Tant y a que je verrais volontiers ou les empreintes ou les originaux des colonies de TYRO et de COL. TROAS et de COL. AER. CAPITOLINA, de COL. FL. NEAPOLIS, grecque ou latine, de COL. LI. COR. et specialement de celle que vous mettez toute la première en votre roolle de Jule moyen, avec Auguste et CORIN. et celle que vous mettez la dernière de M. AGRIPPA. Au surplus pour les médailles grecques ou de colonies généralement, je prends plaisir de recueillir toutes celles de Marc Aurèle et d’Alexandre Sévère, qui sont des plus ordinaires, car elles ne sont pas rares comme des autres empereurs qui ont moins vécu. Et oultre ce, toutes les médailles grecques où sont représentées des montagnes, de quelque empereur et grandeur que ce soit, comme aussi de celles de BYZANTIVM, et particulièrement de celles qui ont des fuseaux. Et finalement de ces médailles soit de cuivre ou d’argent, qui ont des caractères samaritains, excepté ces sicles tetradrachmes tels que celui qu’a mis Ant. Augustinus, dont j’en ai plusieurs. Voilà maintenant pour vous dire en gros ce qui touche ma curiosité de tout ce que vous m’avez demandé. J’oubliais de vous dire que j’ai quelques médailles avec la couronne de têtes et quelques dessins de figure antique couronnée de cette sorte. Si Msr le cardinal Buoncompagni était homme qui voulût bailler empreinte des deux médailles qu’il a avec telles couronnes, il y aurait moyen de lui rendre revanche" (Bibliothèque de l’Ecole de Médecine de Montpellier, Ms. II, 271, fol. 28; Tamizey de Larroque 1894 vol. 5, lettre XII, p. 509-518; Bresson 1975, p. 69).