-Sans date (début 1702) :« Monsieur le Chevalier, J’ai reçu la lettre que vous avez eu la bonté de m’écrire du 11 janvier, et je puis dire avec vérité, que j’ai eu peu de jours si agréables, car outre la joie de votre souvenir et bienveillance, j’ai eu au même moment les premières nouvelles, qui sont venues d’Angleterre avec la belle et généreuse résolution de votre incomparable nation, pour pré( ?)er le reste de l’Europe d’un esclavage. Si j’avais été encore en bonne constitution, je me serais comporté ce jour là comme un véritable Suisse en buvant la santé de sa Majesté Britannique, et de tous les membres du Parlement, qui ont contribué au bien public. Cette joie s’est encore beaucoup augmentée de beaucoup, par la nouvelle que Monseigneur le Comte de Pembroke commandera en chef la plus considérable flotte, car je m’imagine que l’on a fait en cela un grand honneur à la curiosité des médailles, en faisant un si illustre curieux PRAEF. CLASS. ET ORAE MARIT comme a été Pompée, et je souhaite à ce seigneur qu’il puisse acquérir le nom de MAGNVS dans ses expéditions, en sorte que le monarque qui a pris ce titre, et contre lequel il faut combattre, puisse perdre la première lettre de ce superbe titre, et devenir AGNVS, et omnis populus dicat Amen ! Je m’étonne qu’il y ait si peu de curiosité à Vienne. Ignoti nulla cupido, car ils n’ont jamais eu de véritables connaisseurs en médailles, quoique d’ailleurs fort savants. Le cabinet de l’Empereur est sans doute incomparable, sans qu’on le sache, et je le juge par les très belles et singulières médailles que Octavius Strada en a publiée ; outre cela, le cabinet d’Innsbruck (nb : écrit « Inspruc ») a encore été mené à Vienne, d’où Occo avait tiré tout son ouvrage mais on m’a dit, que tout était encore sans être ouvert ou dépaquetté. Lambecius était un grand et savant homme ; mais il n’avait pas la moindre connaissance des médailles, comme aussi le dernier mort, Mr Neffel, qui songeait plus aux médailles courantes pour en remplir sa bourse, par le moyen du cabinet auquel il était préposé. Je vous suis sensiblement obligé d’avoir présenté une de mes épîtres à Mr le Nonce. Je n’ai jamais eu l’honneur de le voir mais tous ceux qui m’en ont parlé, l’ont fait avec de grandes louanges, comme d’une personne de très grand mérite, et d’une âme généreuse. Ceci n’est pas la seule bonté que vous avez eue envers moi, puisque je vois par une lettre de Mr le Général Marsili, que vous parlez de moi avec trop d’avantage, et prenez garde de ne pas vous faire tort en cela à vous-même puisque ma conscience me dicte le contraire, et que je n’ai aucun mérite mais seulement un désir extrême d’apprendre et d’être serviteur très humble à tous les honnêtes gens. Ce seigneur général m’a aussi envoyé un dessin de sa médaille d’or de la famille Plautia, et je la trouve fort considérable. Je vous envoie ci-joint les médailles ou dessins demandés, et y ait fait ajouter un Ptolémée fils de Juba que j’ai trouvé depuis votre départ dans un sac de rebut, que je n’avais pas encore vu. Tout ce que j’ai est à votre service, mais dans peu je serai fort malheureux pour servir les amis puisque mon graveur s’en ira, après avoir fini son travail, et je n’aurai personne pour dessiner. Monseigneur le Comte de Schwartzbourg n’est pas sorti du lit depuis votre départ, ayant été furieusement tourmenté par une espèce de goutte vagabonde et de la pierre, en sorte que j’ai souvent été dans la peine de perdre un si bon maître, lequel est encore très fâchéde n’avoir pas pu vous entretenir lui-même, et a aussi lu votre lettre avec plaisir. Je me recommande à la continuation de votre souvenir, surtout si vous rencontriez quelque médaille consulaire considérable, et qui n’était pas dans Ursin et Patin ; je ne doute pas, qu’il s’en trouve plusieurs dans les cabinets considérables de Venise et autres de l’Italie. Monsieur le Docteur Bon (auquel je vous supplie de faire mes compliments, et que je suis fort fâché que ma maladie m’ait empêché de correspondre avec lui) pourra le mieux dire, où il s’en trouve. Ne manquez pas de voir les cabinets de Ruzini, Cornara, Capello, Godesinida ( ?). Et faites moi la grâce de quelque information sur eux. Il y a aussi des curieux à Padoue, et on m’a dit qu’il y a une suite d’or considérable chez un gentilhomme nommé Torta. Mr Galand m’a écrit de Paris, et il veut soutenir la cause de Mr Beger, en faisant d’un bât de chameaux une couronne, et il est encore plus ridicule, car il dit, que la figure à genoux auprès du chameau dans la première médaille de la famille Aemilia est une victoire ; on ne l’a jamais vue à genoux pour demander très humblement pardon d’avoir battu et offensé ses ennemis. Je vous supplie de m’informer du sentiment sur cela des Italiens, car cette médaille est fort commune, et entre les mains de tout le monde : ainsi si une grande quantité ne montrent qu’un bât sur le chameau, pourquoi croire une seule, où très peu, qu’il y a une couronne royale, et quoique cela semble être, il m 'est plus vraisemblable que les graveurs ont figuré les bâts différemment, chacun suivant son imagination, ou que les bâts étaient en effet différents pour porter ou hommes et plusieurs sortes de ballots et marchandises. Cela me fait souvenir de la coutume des bouchers à Paris, lesquels ont une certaine manière à mettre sur un cheval avec plusieurs crochets ou pointes pour pendre à chacun un mouton, et s’il n’y a point de moutons, ces pointes de la machine semblent aussi une corona radiata, si on gravait un cheval avec une semblable machine sur une médaille ; ainsi un sublime Dulodorus (nb : le nom d’un des personnages fictifs de Beger) s’y tromperait aussi facilement dans ses arrêts, qu’il prononce quasi avec quelque commandement. Revenons aux médailles d’or, à Padoue, chez le Signor Torta, desquelles je serais bien aise d’avoir information particulière, car on m’a dit, qu’il y avait des choses singulières, entre autres : Agrippa cum corona rostrata ; Antonius cum Cleopatra ; Elagablus cum Julia Aquileia, et sembables. Ainsi je vous supplie très humblement de tâcher d’avoir un catalogue de ce cabinet, et savoir si on le voudrait vendre, et combien on les estime. Et en cas qu’il y ait apparence de traiter avec ce gentihomme, quelles précaution et sûreté on pourrait prendre pour la réalité et véritable antiquité desdites médailles pour n’être pas trompé par des fausses ou moulées. Pour de côté on offre le paiement, et donner toutes les assurances nécessaires à Venise avec toute satisfaction raisonnable, mais on désire réciproquement une entière sûreté comme de raison. Je vous demande mille pardons de la hardiesse que je prends de vous prier pour tant de peines dans une semblable commission, et n’aurais pas osé le faire sans la confiance que j’ai en votre bonté et générosité, et ferez en cela ce que vous jugerez vous-même être bon et nécessaire. Surtout il faudra prendre garde que rien ne soit distrait, et tout demeure ensemble. J’espère que vous me ferez cette grâce car je serais bien aise de perfectionner la suite d’or de mon illustre seigneur et maître. Si vous arrivez à Florence, je vous supplie de saluer de ma part Mr Bianchi lequel a en sa garde les médailles du Grand Duc de Toscane, et demandez le s’il n’a pas encore deux lettres de moi, et que je le supplie de me faire savoir s’il y a encore des médailles d’or à laisser ou vendre chez lui, et qu’il ait la bonté de m’envoyer les colles ou dessins des médailles consulaires, qui se trouvent sous sa conduite. Je les publierai avec son choix, et j’espère qu’il se souviendra que j’ai aussi fait pour son service tout ce que j’ai pu à Versailles, pendant le temps que j’ai eu l’honneur de l’y voir. J’entends des médailles consulaires, qui ne sont pas dans Patin, ou fort particulières. Excusez de ce que je vous entretiens si longtemps. Et quand vous reviendrez en Angleterre, ayez la bonté de continuer la correspondance avec moi, et si vous pouvez faire avoir des médailles, monnaies ou écus d’Angleterre pour le cabinet de Mr le Comte, je vous en serai très obligé, et vous satisferai régulièrement, en vous servant réciproquement en tout cequ’il vous plaira me faire l’honneur de commander. Mes respects et compliments à votre bonne compagnie. Je vous souhaite un heureux voyage, bon retour, et tout ce que vous pouvez désirer vous-même, et à moi que je vous puisse montrer dans quelque occasion avec quel désir, je m’efforcerai d’être, Monsieur le Chevalier, votre très humble et très obéissant serviteur. A. Morell » (Paris, BnF, Manuscrits, Nouvelles acquisitions latines 389 : Correspondance numismatique d’André Morell d’Arnstatt, pendant les années 1702-1703, p. 3-9 [en ligne sur Gallica] ; Callataÿ 2015, p. 303-305; Burnett 2020b, pp. 1012, 1593-4).