Charles de Brosses - Jacques-Philippe Fyot de la Marche-Neuilly - 1740-3
Lettre s.l. s.d. (théoriquement, mars 1740): « L’heure ordinaire de notre dîner faisant une lacune dans notre journée, nous la donnâmes à la bibliothèque de Muratori. Nous trouvâmes ce bon vieillard avec ses quatre cheveux blancs et sa tête chauve, travaillant, malgré le froid extrême, sans feu et nu-tête dans cette galerie glaciale, au milieu d’un tas d’antiquités ou plutôt de vieilleries italiennes; car en vérité, je ne puis me résoudre à donner le nom d’antiquité à tout ce qui concerne ces vilains siècles d’ignorance. Je n’imagine pas, qu’hormis la théologie polémique, il y ait rien d’aussi rebutant que cette étude. Il est heureux que quelques gens veuillent s’y adonner, oportet unum mori pro populo; et je loue fort les Ducange et les Muratori qui, se dévouant comme Curtius, se sont précipités dans ce gouffre; mais je serai peu curieux de les imiter. Sainte-Palaye, au contraire, s’extasiait de voir ensemble tant de paperasses du dixième siècle. Nous y fîmes diversion par quelques inscriptions romaines; car notre Muratori est un homme à plusieurs mains. Il nous dit qu’il s’était habitué à travailler ainsi tous les jours de sa vie sans se soucier des précautions qu’on prend contre le froid ou le chaud. Il nous fit des plaintes amères de ce que tutti I danari si spendevano in soldatesca, che andava rovinando affato le lettere. Enfin, après deux heures de conversation, où ne fut pas oublié le chapitre de notre ami le président Bouhier, dont le nom se trouve toujours naturellement dans la bouche des gens de lettres de tout pays, nous nous séparâmes du bonhomme, fort contents de sa simplicité et de sa vaste doctrine » (voir Fr. d’Agay 1986, Lettre LVI, « Route de Rome à Modène, séjour à Modène », p. 544-545).